Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
aérostier.
     
    – Vous êtes, non seulement téméraires, mais courageux. Hélas, vos engins sont rien moins que sûrs. Mon père m’a raconté qu’en 1784 il avait assisté à l’envol, à Strasbourg, de l’aérostat de l’opticien Adorn. Le ballon s’éleva pendant une minute puis retomba sur un toit et y mit le feu. L’opticien et l’un de ses parents qui l’accompagnaient furent blessés. Ils avaient failli s’embrocher sur la flèche de la cathédrale !
     
    – Nous avons fait de grands progrès, depuis ce temps-là ! protesta le lieutenant.
     
    – Mon père racontait aussi comment, à la même époque, le duc de Chartres, futur Philippe Égalité, qui croyait à tout ce qui était nouveau et, entre autres chimères, à l’avenir des machines aériennes, avait fait l’essai d’un ballon à Saint-Cloud. Il avait pris place dans la nacelle, mais il ne se trouvait pas à cent toises du sol qu’il avait exigé d’être ramené à terre. Il fut hué par les spectateurs et l’on chansonna son ascension. Tiens, je me souviens de ce couplet que mon père, qui détestait le duc, m’avait appris :
     
    –  Chartres ne se voulait élever qu’un instant ;
    Loin du prudent Genlis il espérait le faire ,
    Mais par malheur pour lui la grêle et le tonnerre
    Retracent à ses yeux le combat d’Ouessant .
    Le prince effrayé dit : Qu’on me remette à terre,
    J’aime mieux n’être rien sur aucun élément 5 …
     
    fredonna Blaise.
     
    – Tout le monde sait que le duc de Chartres n’était pas un foudre de guerre. Souviens-toi du combat naval d’Ouessant, la mer déjà ne lui avait pas réussi ! Mais il eût mieux valu, pour l’honneur des Orléans, que le futur Philippe Égalité perdît la vie en tombant d’un ballon plutôt que par la guillotine à laquelle il avait envoyé Louis XVI ! Une vilenie bien mal récompensée par les révolutionnaires, observa Montchal.
     
    – Le peuple flaire l’hypocrisie des opportunistes. Il aime que les princes soient des princes, les curés des curés, les catins des catins ! Il n’a aucun respect pour les aristocrates qui trahissent leur classe ! Son ingratitude est démonstration de liberté !
     
    Un peu plus tard, sur l’ancienne place Louis-XV, devenue, le 11 août 1792, place de la Révolution, et maintenant nommée place de la Concorde, Fontsalte et Montchal assistèrent à l’inauguration d’une autre colonne nationale, à l’endroit même où, le 21 janvier 1793, Louis XVI avait été décapité dans le plus trivial enthousiasme, avant que s’organisât autour de l’échafaud une obscène farandole.
     
    Pendant cette célébration, destinée à faire oublier les exécutions d’autrefois, Blaise se souvint qu’à Fontsalte sa mère avait pris le deuil dès qu’elle avait su la mort du roi, qu’à Montbrison des gens avaient eu le courage de manifester leur indignation et que son père avait proclamé, haut et fort, que les vrais amis du peuple n’étaient pas les régicides. Le marquis s’était attiré la haine des radicaux, en alléguant publiquement que le sang d’un monarque, fût-il faible et incompétent, laisse sur les pages les plus glorieuses des livres d’histoire une tache indélébile.
     
    Sur cette place, plus de mille personnes, dont les officiants de la Terreur, avaient eu la tête tranchée. Des noms revenaient, pêle-mêle, à la mémoire de l’officier : la reine Marie-Antoinette, bien sûr, mais aussi Charlotte Corday, M me  Roland, la comtesse du Barry, Madame Élisabeth qui avaient précédé les Girondins, Philippe Égalité, Danton, Lamoignon, Lavoisier, Malesherbes, Hébert, Robespierre, Saint-Just, Couthon, Henriot, Bourbotte et d’autres. En nommant la place des martyrs place de la Concorde, les consuls n’exprimaient-ils pas un vœu patriotique ? On venait, pour l’instant, d’y dresser la maquette, grandeur nature, d’une « colonne nationale », encore une, à la gloire des armées de la République. Elle remplacerait la statue monumentale de Lemot, une Liberté assise lance à la main, coiffée du bonnet phrygien 6 , « coiffure des pêcheurs napolitains », fit remarquer le lieutenant Montchal ! Faite de plâtre répandu sur un support de maçonnerie légère, peinte couleur bronze, cette Liberté de pacotille avait mal supporté les intempéries. Fendue, craquelée, menacée d’une chute qui eût été symboliquement désastreuse, sa décrépitude justifiait

Weitere Kostenlose Bücher