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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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à Vevey, j’ai à faire. Les jours sont longs et les chevaux seront reposés. Puisque nous avons une voiture rapide et bien suspendue, autant en profiter, pas vrai ?
     

    Après avoir longtemps examiné Axel, le docteur Carbonel, un vieil homme doux, aux gestes lents, au ton mesuré, se montra plus affirmatif que son confrère veveysan.
     
    – L’anomalie que je constate chez cet enfant, anomalie et non maladie, crut bon de préciser l’oculiste, est considérée par la Faculté comme une altération encore inexpliquée de la couleur de l’iris 1 . Certains modernes pensent à une disproportion congénitale dans la distribution des pigments qui colorent l’iris. Mais rassurez-vous, même si le regard vairon, du latin varius , est un cas rare, j’en ai rencontré plusieurs dans ma carrière déjà longue et aucun n’a conduit à la cécité. La seule chose que j’aie pu constater, c’est que l’anomalie pouvait être héréditaire. Elle s’est même retrouvée chez des sœurs jumelles.
     
    – Mais personne dans ma famille n’a jamais eu l’œil vairon. De ton côté non plus, n’est-ce pas, Charlotte ? protesta Guillaume.
     
    Le médecin eut un sourire complaisant.
     
    – Qu’en savez-vous, monsieur ? Cela peut venir de fort loin, sauter les générations. Savez-vous comment étaient les yeux de vos ancêtres au temps de… Guillaume Tell, par exemple ?
     
    Cette boutade détendit l’atmosphère et les Métaz quittèrent l’oculiste le cœur plus léger. Charlotte, entendant le praticien mettre en cause l’hérédité, avait eu un moment de trouble, vite réprimé. Guillaume vouait aux médecins le respect de ceux qui n’ont aucune connaissance médicale. Le diagnostic d’un praticien réputé ne pouvait être mis en doute, bien que la nature apportât parfois de douloureux démentis. « Le médecin énonce le problème, Dieu le résout », disait parfois Métaz, pour excuser les erreurs des Diafoirus.
     
    Mathilde crut tranquilliser sa nièce en affirmant que la différence de couleurs des yeux de l’enfant se remarquait à peine et que les Rudmeyer avaient toujours eu une excellente vue. Cela signifiait, Guillaume le prit ainsi, que la déficience héréditaire, si déficience il y avait, ne pouvait venir que du côté Métaz ! M lle  Rudmeyer cita le cas d’une personne née avec un œil bleu piqueté de rouge brun. Cela venait, paraît-il, de ce que sa mère avait été renversée, pendant sa grossesse, par un cheval bai emballé !
     
    Pour atténuer l’inquiétude avouée de sa nièce, le seul être au monde qu’elle aimât, Mathilde offrit à Charlotte un dessin à la plume de Jean Huber, dont elle possédait une petite collection. Ce dessinateur genevois, artiste original, un des derniers chasseurs au faucon d’Europe, était mort cinq ans plus tôt, à l’âge de soixante-cinq ans. Hôte attitré de Ferney, il avait été l’ami de Voltaire, cent fois dessiné et caricaturé par lui 2 , plusieurs fois pour le compte de Catherine II la Grande, impératrice de Russie. Cette dernière non seulement avait lu les œuvres du philosophe, mais en avait beaucoup entendu parler par son secrétaire, le Genevois Pictet, familier des Délices, la demeure de Voltaire. Goethe, Marmontel, Melchior Grimm et William Beckford avaient rendu visite au peintre et apprécié son habileté à jouer des ciseaux, quand il découpait un profil dans du papier noir… qu’il tenait derrière son dos ! Mathilde, toujours discrète quant à son passé de jolie femme, n’avait jamais donné grand détail à quiconque, ni même à sa nièce, sur ses relations avec l’artiste, mais elle serrait dans des cartons rarement ouverts de nombreux croquis de Jean Huber, dont plusieurs portraits d’elle-même et quelques « découpures » de profils célèbres. L’œuvre que Charlotte emporta ce jour-là, un dessin à la plume et bistre, rehaussé d’aquarelle, représentait une femme de dos, assise sur un banc et regardant le Léman. Le clocher, en contrebas de l’éminence où se trouvait la rêveuse, était, d’après Mathilde, celui de l’église Saint-Martin, à Vevey.
     
    De retour à Rive-Reine, Charlotte accrocha le précieux dessin au mur de sa chambre, près de l’aquarelle envoyée d’Espagne par Fontsalte quelques mois plus tôt. Un amateur eût trouvé cette juxtaposition peu flatteuse pour le grand dessinateur genevois. Quand Martin Chantenoz fut invité à constater à

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