Helvétie
Beckford.
« Hier M. Beckford est arrivé ici, où il doit séjourner quelque temps. Depuis trois années et demie, nous étions privés de la présence des étrangers dans ce pays. Puisse la paix et une liberté sans licence nous ramener les voyageurs de tous États qui, en venant admirer la beauté de nos sites, contribuaient à répandre l’aisance parmi les habitants en vivifiant leur industrie. »
Guillaume, prévoyant une relance du commerce si malmené par la guerre, n’avait pas été le dernier à considérer qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle. Charlotte, elle, s’était mise à espérer un message de sa tante, qui la convierait à rencontrer l’écrivain et esthète anglais si elle-même réussissait à le voir.
Le 1 er août, Charlotte, n’ayant pas de nouvelles de Mathilde, supposait que celle-ci n’avait pas encore abouti.
Vers une heure de l’après-midi, alors que les Métaz, comme tous les Veveysans, accablés de chaleur, se tenaient au frais dans leur maison, le tocsin se mit en branle pour appeler les hommes au feu. Le village de Tercier, dans la paroisse de Blonay, était en flammes. L’incendie, allumé dans la ferme des Bonjour, en plein village, par des flammèches tombées sur un toit de bardeaux, ne put être maîtrisé et soixante-dix maisons – deux tiers des habitations de Tercier – furent détruites en peu de temps. On découvrit bientôt que les responsables de cette catastrophe étaient des carriers, occupés à faire sauter le roc à la poudre. Ils utilisaient comme mèches et tampons des chiffons et c’est un lambeau de tissu incandescent, emporté par un fort vent du midi, qui avait mis le feu au village. On s’entendit aux alentours pour héberger les sans-abri et une collecte fut organisée pour leur venir en aide.
Ce drame local était oublié quand, à la fin des vendanges, on apprit qu’un nouveau coup d’État avait été fomenté à Berne, par les opposants à la Constitution proposée par Bonaparte. Cette fois, l’affaire risquait d’allumer la guerre civile. Le conflit entre unitaires 4 et fédéralistes 5 avait été relancé par les élections à la Diète helvétique en faisant apparaître une majorité unitaire, même si la Suisse centrale avait désigné des représentants fédéralistes tandis que les Grisons envoyaient siéger des partisans de l’Autriche et, de ce fait, ennemis déclarés de la France.
Aussitôt réunie, la nouvelle Diète s’était comportée en assemblée constituante, afin de modifier la Constitution dite de Malmaison pour renforcer le pouvoir central. La réaction ne s’était pas fait attendre et, le 27 octobre, quelques membres du Conseil législatif, réunis en secret, avaient déclaré « la Diète générale dissoute et ses travaux nuls et de nul effet ». Le général Montchoisy, qui commandait les troupes françaises, et Raymond de Verninac, ministre de France, gagnés à la cause des fédéralistes, ne s’étaient pas opposés au nouveau coup d’État. La Diète s’était résignée et, les élections au Sénat ayant envoyé dans cette assemblée une majorité fédéraliste, les nouveaux sénateurs venaient de nommer premier landammann 6 , c’est-à-dire chef du gouvernement, Aloys Reding 7 , un ancien officier des Gardes-Suisses de Louis XVI.
Le colonel Reding, âgé de trente-sept ans, adversaire résolu des principes de la Révolution française, était estimé dans les cantons primitifs 8 et comptait de nombreux partisans. Il appartenait à une très ancienne famille de Schwyz qui, depuis des générations, avait fourni aux armées des rois de France, d’Espagne et de Naples des officiers valeureux. Il ne cachait pas sa détestation des révolutionnaires français et de leurs héritiers. Ils avaient non seulement détruit la monarchie et guillotiné Louis XVI et Marie-Antoinette, mais aussi massacré, de la plus horrible manière, son frère aîné, Rodolphe Reding 9 , capitaine au régiment des Gardes-Suisses. Ce dernier, deux fois blessé le 10 août 1792 en défendant les Tuileries, avait été interné avec cent cinquante-six autres prisonniers suisses à l’Abbaye de Paris. Ces mercenaires, accusés d’incivisme, se croyaient protégés par les lois de la guerre et attendaient d’être jugés quand Danton avait dépêché des brutes, armées de piques et de sabres, pour les exécuter. Le beau Rodolphe Reding, malade, couché dans la chapelle devenue
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