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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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as eu un grand malheur qui t’avait donné un but, la vengeance. Cela a failli te coûter la vie. Maintenant, tu t’intéresses à la condition des femmes. Tu rêves d’être une nouvelle Marianne Ehrmann 3 , de publier un journal féminin, de faire admettre l’égalité des sexes, de convaincre les femmes de s’instruire, de tenir tête aux hommes, que sais-je encore…, de jeter leur corset par la fenêtre !
     
    – Ta tante Mathilde ne désavoue pas mes idées ni mes aspirations. Que veux-tu, moi, je n’ai ni vignes, ni mari, ni enfant !
     
    – C’est parce que tu le veux bien… et puis tu dis toi-même que le mariage ne peut suffire à emplir la vie d’une femme !
     
    – Dans le pays de Vaud, les hommes sont souvent inférieurs à leur femme, a dit quelqu’un. C’est ton cas. Épouse réservée et obéissante, tu domines cependant ton mari par l’esprit et le savoir. Guillaume a l’intelligence pratique des gens d’affaires, il réussit tout ce qu’il entreprend…
     
    – Mais je m’ennuie ! Ma raison me porte à aimer Guillaume avec force, mais ni mon cœur ni mon esprit ne sont satisfaits. Tous les jours se suivent et se ressemblent, les saisons de la vigne rythment notre vie, le lac passe du gris au bleu, puis du bleu au gris, il y a des jours de brouillard et des jours de soleil, les gâteaux d’Élise sont toujours trop sucrés et les rösti de Polline trop cuits ! Tous les soirs que Dieu fait, Guillaume vérifie ses comptes jusqu’à minuit, puis monte voir si je dors. Souvent, je fais semblant pour échapper à sa tendresse… infatigable ! Sans toi et Chantenoz, je ne pourrais parler que commerce, batellerie, vins et avenir d’Axel, c’est le nouveau sujet ! J’aimerais voyager, voir des pays, rencontrer des gens ! J’aimerais vivre une autre vie !
     
    – Maintenant que tu as une voiture, tu peux aller à Lausanne, chez ta tante, quand tu veux. On ne s’y ennuie pas, que je sache.
     
    – Tu sais très bien que ça déplaît à Guillaume. Et je ne veux pas lui déplaire… trop souvent…
     
    – Et crois-tu que le souvenir et les lettres de Fontsalte puissent t’apporter autre chose qu’une illusion ? demanda Flora, pour revenir au sujet de la querelle.
     
    – Mais l’illusion est le ferment de mes pensées. Blaise m’apporte l’illusion de vivre une autre vie, une vie… souterraine. La sensation d’être une autre femme, que personne ne connaît. D’ailleurs, il m’a donné un nom que lui seul prononce !
     
    Flora haussa les épaules avec moins d’agacement que de commisération. Charlotte restait la pensionnaire sentimentale qui écrivait, de Fribourg, des lettres baignées de larmes où il était question des amours chastes et tragiques de Paul et Virginie, séparés par la mort au seuil du bonheur. Le roman de Bernardin de Saint-Pierre avait eu une telle influence sur les adolescentes de la génération de Charlotte que nombre d’entre elles se coiffaient encore à la Virginie et portaient en médaillon les portraits supposés des amants de l’île de France.
     
    Après un long échange d’arguments dialectiques, développés de part et d’autre sur un ton véhément, Flora finit par céder et s’engagea à continuer ses bons offices. Elle admettait, sans toutefois le reconnaître ouvertement devant son amie, que celle-ci avait besoin de croire à sa romance, surtout d’avoir une vie cachée, des pensées et des sentiments secrets. C’était peut-être la façon qu’avait M me  Métaz de se croire indépendante et libre.
     
    La complicité de Flora à nouveau acquise, Charlotte s’inquiéta de ce que pouvait penser Tignasse, chez qui arrivaient les lettres de Blaise à l’adresse de Flora.
     
    – Je laisse croire à ma sœur qu’il s’agit de messages envoyés par des émigrés que je suis chargée de faire parvenir à leur destinataire. Chaque fois qu’une lettre arrive, j’ai une scène ! Depuis que j’ai été prise comme espionne, l’an dernier, elle me voit en danger de mort. Elle me dit : « Tu finiras sur l’échafaud ou dans un cul-de-basse-fosse avec du plomb dans le cœur ! » Voilà ce que me valent les lettres de ton soudard, ma belle. Ah ! faut-il que je t’aime pour toujours en passer par où tu veux !
     

    Le mardi 7 juillet 1801, le Journal helvétique – tel était depuis peu le nouveau titre du Bulletin helvétique – avait annoncé l’arrivée à Lausanne de M. William

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