Helvétie
ce qu’auraient d’enchanteur les retrouvailles avec Blaise, elle craignait de ne plus le revoir. Au bout d’une semaine, estimant que l’officier avait dû recevoir la lettre confiée, près d’un mois plus tôt, à Flora, elle se figura que son galant renonçait à poursuivre à Paris l’idylle commencée à Belle-Ombre.
Elle voyait de si jolies femmes à Paris ! Au cours de ses promenades du matin, au théâtre du Vaudeville, à l’Opéra-Comique et dans les restaurants, elle remarquait des beautés aux toilettes impudiques, justaucorps profondément échancrés, guimpes de gaze ou de linon que tendaient les bourgeons roses des seins, robes à la Minerve ou à la Diane, si moulantes qu’on les eût crues collées au corps par l’averse. Charlotte finit par se dire qu’un officier n’avait que faire d’une bourgeoise vaudoise de son genre, bonne à prendre au bord du Léman, mais insignifiante au milieu des belles Parisiennes !
Un matin, réprimant tout amour-propre, elle décida d’aller jusqu’à l’hôtel de Coigny, rue Vivienne, annexe de l’état-major où elle avait coutume d’adresser ses lettres à Blaise. Le garde accepta de prévenir le chef de poste qu’une dame souhaitait obtenir des nouvelles d’un officier de la Garde des consuls. Un jeune lieutenant reçut Charlotte avec une extrême courtoisie et la fit entrer dans un salon d’attente.
– Nous voyons passer chaque jour, madame, des douzaines de généraux, de colonels, de commandants et je dois tout d’abord apprendre où se trouve présentement la Garde des consuls pour vous répondre utilement.
L’officier fut absent un bon quart d’heure. À son retour, il parut à Charlotte encore plus respectueux et prévenant qu’au moment de l’accueil.
– J’ai mission, madame, de vous conduire au général Ribeyre. Il va vous recevoir et vous donnera, je crois, des nouvelles du colonel Fontsalte, car ce chef d’escadrons est passé colonel il y a une semaine.
– Mais je ne veux point importuner un général, monsieur. Que l’on fasse dire simplement à M. Fontsalte qu’une dame suisse attend de ses nouvelles. Il comprendra. C’est tout, dit Charlotte, très émue à la pensée que sa démarche allait l’entraîner à commettre des indiscrétions et, peut-être, à en souffrir.
– Le général Ribeyre serait très déçu si vous n’acceptiez pas son invitation… et puis je crois que c’est un bon ami du colonel.
Charlotte suivit l’officier dans un dédale de couloirs sombres où régnait, en dépit de la chaleur extérieure, une grande fraîcheur. Le lieutenant offrit son bras à la visiteuse pour monter un escalier monumental et la quitta, en s’inclinant, après avoir ouvert la porte d’un bureau.
Un petit homme sec, à l’œil noir, sanglé dans un uniforme parfaitement ajusté, vint au-devant de Charlotte, s’inclina et effleura de sa moustache la main qu’on lui tendait. Ayant reculé d’un pas, il considéra la visiteuse avec un sourire amical et lui désigna un des fauteuils qui meublaient un angle du vaste bureau. Sur un guéridon, une gerbe de roses – les plus belles que Charlotte ait vues à Paris – et, accrochés aux murs, plusieurs grands tableaux représentant des scènes de bataille conféraient au décor l’aspect cossu bien qu’austère d’un salon.
– Mon ami Blaise de Fontsalte me parlant de sa charmante logeuse de Vevey ne m’a pas dit toute la vérité, madame. Sans doute par discrétion, mais je vous ai tout de même reconnue dès le seuil. Il m’a dit : « Cette dame est blonde aux yeux bleus, jolie, très jolie. » Ce n’était pas suffisant, permettez-moi de le remarquer, madame, vous êtes mieux que jolie, vous êtes belle !
Charlotte eut conscience de rougir sous le compliment et se sentit à la fois rassurée et inquiète. Rassurée parce que Blaise avait parlé d’elle, en termes flatteurs, à son ami le général Ribeyre ; inquiète parce qu’une telle confidence pouvait avoir des conséquences désastreuses si Guillaume découvrait que ses relations avec l’officier français avaient été moins superficielles qu’elle ne l’avait laissé croire. Ribeyre nota le trouble de la jeune femme.
– Le colonel de Fontsalte est mon ami et je crois être le seul, à Paris, à connaître votre existence. Nous avons ici l’habitude du secret, ajouta-t-il en souriant.
– J’ai accompagné mon mari
Weitere Kostenlose Bücher