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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Ribeyre, Charlotte vit arriver Guillaume, à l’heure du dîner, plus souriant qu’il ne l’était depuis le commencement de leur séjour à Paris. Son mari tenait à la main deux plis, que venait de lui remettre le concierge de l’hôtel.
     
    – Mon obstination de paysan, dont tu te moques parfois, commence à porter ses fruits, cocolette ! On m’informe qu’un membre éminent du Conseil général du Commerce me recevra demain et qu’il se mettra à mon entier service pour faciliter toutes les affaires que je voudrais entreprendre. La lettre est très aimable. Je soupçonne une intervention du banquier Hottinguer, un Suisse puissant dans la finance. Et puis, ajouta M. Métaz en tendant à sa femme deux cartons ornés d’arabesques dorées, nous sommes conviés à la prochaine revue de quintidi, qui sera présidée par le général Bonaparte. Cette invitation, c’est sans doute au ministre de Suisse, M. Stapfer, que nous la devons. Enfin, on commence à nous considérer un peu mieux, commenta Guillaume, content de soi.
     
    Charlotte, qui savait l’origine de ces faveurs, se réjouit sincèrement de la satisfaction de son mari. On lui avait dit qu’à Paris les femmes pouvaient faire beaucoup pour la fortune de leur époux. Elle sourit et, imaginant être dans le ton des dames rencontrées chez M me  Stapfer, décréta qu’elle n’avait rien à se mettre et devait se procurer, au plus tôt, une toilette à la mode afin de ne pas passer aux Tuileries pour une petite provinciale.
     
    – Je suis tenue de te faire honneur ! On m’a dit qu’à la revue de quintidi les dames font assaut d’élégance. Je ne voudrais pas que…
     
    – Je ne trouve pas que ces soi-disant dames de Paris, qui vont à demi nues et la figure pleine de rouge comme des arlequins, soient bien élégantes. Et je n’aimerais pas que tout un régiment pose les yeux sur ces tétons-là, conclut Guillaume en empaumant les seins de sa femme.
     
    Pendant que son mari allait à ses rendez-vous d’affaires, Charlotte se mit à courir les boutiques de lingerie et les modistes, chaperonnée par l’épouse d’un conseiller d’ambassade de la République helvétique qui lui inspirait sympathie et confiance. Chez la couturière de cette dernière, elle trouva une longue jupe en percale des Indes, blanche et d’une rare finesse, ornée dans le bas d’une guirlande de pampres vert pâle, qui se portait avec un corsage détaché, taillé en manière de spencer, que la couturière nomma canezou. Le haut des manches et les poignets étaient brodés de festons rappelant, par le dessin et le ton, la guirlande du bas de la jupe.
     
    M me  Métaz ajouta à cet ensemble un coûteux châle de cachemire, toutes les femmes présentes ayant affirmé qu’il s’agissait d’un indispensable complément de toilette depuis que Joséphine Bonaparte s’en parait. La marchande s’empressa de montrer à Charlotte comment on pouvait user d’un châle de différentes manières, suivant qu’on souhaitait se protéger de la fraîcheur du soir, voiler sans la dissimuler tout à fait la rondeur des seins exhaussés par la brassière – ce qui ne manquait pas d’éveiller la curiosité des messieurs – ou se draper avec dignité, comme un empereur romain dans sa toge, pour décourager une entreprise déplaisante. Jeté négligemment sur l’épaule, entrouvert avec coquetterie sur le décolleté, flottant jusqu’à terre comme une voile en bannière, ce qui signifiait : « suivez-moi », couvrant discrètement la tête au sortir d’un rendez-vous clandestin, le châle avait son langage connu des initiés.
     
    Ce goût était venu aux coquettes, avec celui des choses orientales, après l’expédition d’Égypte, les officiers ayant rapporté à leurs belles châles et étoffes précieuses que les fabricants français d’indienneries, comme Guillaume Ternaux, imitaient maintenant avec art et profit. En coton ou percale de couleur pour les plus modestes, en soie à palmettes et, pour l’hiver, en vigogne, pour les plus somptueux, le châle figurait dans toutes les garde-robes féminines.
     
    Dans une boutique de lingerie renommée, les ouvrières, fort bien faites et délurées, passèrent sur leurs corps nus les chemises qu’elles avaient confectionnées afin que les clientes puissent en apprécier la légèreté et la transparence. Charlotte, un peu troublée par ces exhibitions que certaines pratiques de la commerçante semblaient

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