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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Excellences de Berne, mon cher capitaine. On m’a dit qu’ils avaient longtemps résidé au château de Chillon, en allant sur Villeneuve, où nous avons une petite garnison et un arsenal. Et puis ces messieurs grelottaient tout l’hiver, car Chillon est inchauffable. Nos hommes en savent quelque chose, qui n’ont ni draps ni traversins et couchent à même des paillasses, tandis que le directeur de l’hôpital français de Mont vend aux paysans des draps, des couvertures et même du sel, grommela le colonel.
     
    Après un silence, il reprit, souriant, son exposé historique :
     
    » Messieurs les baillis, qui ne devaient pas être, à Chillon, aussi mal lotis que nos hommes, emménagèrent à Vevey au milieu du xvii e  siècle. Ils se rapprochaient ainsi des vignerons, des paysans et des négociants, pour collecter l’impôt. D’où, au-dessus de nos têtes, ces combles gigantesques, avec ces ouvertures surmontées de poulies et cabestans. Car on payait l’impôt en nature ! Et messieurs les baillis entassaient tout ça dans leurs greniers. Et le meilleur vin, bien sûr, dans les caves qu’il y a là-dessous, conclut Ribeyre en frappant le parquet du talon de sa botte.
     
    – Ces gens avaient le sens du confort, beaux plafonds, cheminée à cuire un bœuf, boiseries superbes et décor quasi princier, dit Fontsalte en désignant les meubles massifs et les tableaux accrochés aux murs.
     
    – Ces Vaudois ne manquaient ni de goût ni d’instruction, en effet. Le gardien m’a dit que les baillis entretenaient tous une petite cour, recevaient poètes, musiciens et peintres. Je ne sais ce que sont devenus les poètes et les musiciens, mais les peintres ont laissé leurs œuvres. Des choses assez agréables à regarder, des vues du lac avec bateaux, des paysages de mon tagne, des portraits de paysannes. Tenez, ce tableau ne vaut-il pas ce que produisent nos artistes parisiens ?
     
    En parlant, le colonel s’était levé et, prenant familièrement Fontsalte par le bras, l’avait entraîné devant une peinture qui représentait un panorama de Vevey et du Léman avec, en toile de fond, les montagnes que l’armée devrait bientôt franchir.
     
    – Dommage que le peintre, un certain Michel-Vincent Brandoin, soit mort d’une indigestion il y a dix ans, après le banquet que la municipalité lui avait offert en le faisant bourgeois de la ville. Je lui aurais bien commandé une ou deux toiles pour ma maison. Les gens d’ici en étaient fort entichés parce qu’il avait visité toute l’Europe, connu le tsar Paul I er et peignait à la gouache des paysages d’ici pour les Russes, Hollandais et Anglais qui connaissaient sa réputation. Vous verrez aussi, au mur du bureau que je vous ai réservé près du mien, une peinture de François-Aimé Dumoulin, un autre excellent peintre qui a voyagé aux Antilles et exposé à Paris deux huiles qui furent acquises par le Directoire pour orner, sans doute, l’intérieur… d’un Directeur ! acheva le général en riant.
     
    Le comte Claude Ribeyre de Béran connaissait les origines du marquis Blaise de Fontsalte, dont il avait déjà eu l’occasion d’apprécier les qualités et le comportement. Il pouvait, avec ce camarade instruit, comme lui-même amateur d’art, parler librement. Sous les plafonds à caissons des baillis, on était entre gentilshommes qui avaient choisi le métier des armes. Aristocrates sans préjugés, épris de liberté et de justice, ils se battaient tous deux pour la république comme leurs ancêtres s’étaient battus pour le roi, c’est-à-dire, même si elle avait troqué la fleur de lys pour la cocarde tricolore, pour leur dame, une et éternelle, la France.
     
    – Mais nous ne sommes pas là pour parler architecture, peinture et fiscalité Ancien Régime, mon cher. Quelle est l’humeur du Premier consul ? Je me suis laissé dire par une estafette que l’étape lausannoise n’a pas été des plus heureuse. La revue d’hier, dans la plaine de Saint-Sulpice, des divisions Chambarlhac et Loison lui aurait inspiré de sérieuses critiques, portant encore sur l’équipement de l’armée.
     
    – Il est exact que le Premier consul a encore pesté, comme il l’avait déjà fait à Dijon, lors de la formation de l’armée de réserve, après l’inspection sous une pluie diluvienne, vous vous en souvenez, de la division Boudet. La vue des sept mille hommes de la 9 e  demi-brigade légère, des 30 e et 59 e

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