Helvétie
Guillaume après la naissance de Blandine. Son mari utilisait en effet très souvent le coupé. Elle remarqua un cavalier, arrêté à la fourche formée par les chemins de Vevey et de Saint-Saphorin et qui semblait hésiter sur la direction à prendre. En approchant, elle vit un gaillard corpulent, monté sur un grand cheval aux muscles saillants. Elle s’attendait à une demande de renseignement, mais l’homme se contenta de la regarder passer. Elle ne ralentit pas l’allure, estimant qu’il s’agissait d’un étranger, étonnée de ne pas avoir été saluée au passage comme cela se faisait couramment. Le cabriolet s’éloignait de l’inconnu quand celui-ci fit pivoter sa monture et, rebroussant chemin, vint à la hauteur de Charlotte. Surprise et craintive, elle regarda le visage de l’homme, réalisa l’espace d’un éclair qu’elle l’avait déjà vu et, quand le cavalier dit : « Vous êtes bien madame Métaz ? », elle reconnut Jean Trévotte, dit Titus, l’ordonnance de M. de Fontsalte. Charlotte immobilisa son cheval.
– Il y a deux ans, on vous a donné comme grand blessé ! Je suis heureuse de constater que vous vous portez bien. Vous avez même forci et je vois, à votre costume, que vous n’êtes plus militaire, bafouilla la jeune femme, à court de propos.
Trévotte ôta son chapeau et daigna sourire.
– C’est pour la commodité du voyage, que je suis en péquin, ma bonne dame. Et si j’ai forci, ajouta-t-il en montrant sa bedaine, c’est parce que je suis resté près d’un an sans exercice. J’ai laissé une jambe à Marengo, vous savez, et, sans le colonel Fontsalte, je ne pourrais pas me tenir à cheval.
Charlotte vit alors que Trévotte avait une jambe engagée dans un bizarre étrier, qui ressemblait à un gros gobelet suspendu à une tige de fer 6 .
– C’est le colonel qui a eu cette idée et qui a fait fabriquer cet étrier spécial pour mon pilon. Avec ça, je galope comme un autre. Et je vais même vous dire mieux : à cheval, je suis comme un homme qui aurait ses deux pattes, ah ! ah ! Et, couché, on voit pas non plus de différence, ah ! ah ! Y a que lorsqu’il faut marcher que j’ai besoin de la béquille que voilà, toujours attachée à ma selle ! Mais je cause et je vous dis pas que c’est le colonel qui m’envoie.
– Le colonel vous envoie… Est-il près d’ici ?
– Non, madame…, pas encore, mais vous devez lire ce billet et me donner réponse, dit Trévotte, tendant à Charlotte un pli cacheté.
Avec une délicatesse dont elle n’eût pas cru le soldat capable, Trévotte s’éloigna de quelques pas et, tandis que le cheval de l’ordonnance broutait l’herbe du talus, elle prit connaissance du message de Blaise.
« Jugez de ma peine, chère amie. D’abord de n’avoir pas été prévenu en temps opportun de votre venue à Paris, l’an dernier ; ensuite, et de ce fait, de ne pas vous y avoir attendue comme il m’eût tant plu de le faire ; depuis, de n’avoir reçu aucune réponse aux quatre lettres que je vous ai expédiées, à l’adresse habituelle, en octobre et décembre 1802, puis en février et avril 1803. Dois-je prendre ce silence comme fâcherie de votre part ? Comme je vis dans l’espérance de vous revoir et qu’une mission me conduit en Helvétie, j’ai dépêché l’adjudant Trévotte à votre recherche. Je me trouverai à Lausanne, pour quelques jours, dès le 18 juin. Si vous daignez vous souvenir de moi et des heures bénies, mais déjà lointaines, de Belle-Ombre, fixez-moi un rendez-vous où bon vous semblera. À moins de mort, j’y serai. Titus transmettra fidèlement le lieu, le jour et l’heure. Si vous souhaitez me tenir désormais à l’écart de votre vie, dites simplement au porteur que ce message ne comporte pas de réponse. Dorette, c’est là mon ultime démarche. Mille souhaits de bonheur, quoi qu’il advienne de nous. Blaise. »
Très émue, Charlotte relut la lettre, puis la plia soigneusement et la glissa dans son corsage, en préparant mentalement sa réponse. Comme elle devait se rendre prochainement chez sa tante Mathilde et qu’en cette saison les travaux de printemps peuplaient les vignes du matin au soir, ce qui rendait aléatoire une rencontre discrète à Belle-Ombre, elle choisit de fixer à Blaise un rendez-vous à Lausanne. Sa décision prise, elle rappela Titus.
– Dites, s’il vous plaît, au colonel
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