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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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du duvet blond qui couvrait la tête du bébé, M. Métaz fit le vœu que l’enfant ressemblât en tout point, beauté et intelligence notamment, à sa mère. Puis, comme lors de la naissance d’Axel, il mit aussitôt de côté un tonnelet de deux quarterons 5 de son meilleur vin blanc. La première pièce serait mise en perce au jour de la confirmation évangélique du garçon, la seconde pour la première communion de la fille.
     
    Nommée Blandine, du nom d’une chrétienne martyrisée à Lyon en 177 et que les lions du cirque avaient refusé de dévorer – « parce qu’elle était trop maigre », ironisa Chantenoz – la sœur d’Axel fut baptisée, quelques semaines plus tard, à Échallens, selon le rite catholique romain et conformément au contrat de mariage des époux Métaz. Suivant la tradition, Charlotte enveloppa l’enfant dans son voile de mariée pour la présenter au prêtre sur les fonts baptismaux. À l’issue de la cérémonie, Mathilde Rudmeyer, marraine désignée, observa à l’intention de Guillaume, qui avait assisté en silence au baptême de sa fille :
     
    – Le diable est vite parti, mais il est vite revenu !
     
    – Ce n’est pas sous mon toit que Blandine pourra le rencontrer, ma bonne tante, assura froidement M. Métaz.
     
    Il savait que la vieille fille tenait tous les huguenots pour mécréants !
     

    Axel prit fort mal l’arrivée de Blandine. Comme on lui présentait cette sœur, serrée dans son cocon de langes, il eut une moue de dégoût qui amusa tout le monde. Désignant le bébé, il prononça distinctement « pupuche », mot que la nourrice traduisit par épluchure, chose qu’on lui interdisait de toucher quand l’enfant assistait, dans la cuisine, à l’épluchage des légumes.
     
    Au fil des jours, l’aversion du garçon, qui venait d’avoir deux ans, ne se démentit pas. Axel vociférait de façon hargneuse dès qu’on amenait, dans une pièce où lui-même se trouvait, le berceau de sa sœur et ne supportait pas que Pernette s’occupât du bébé en sa présence. Un matin où Flora se trouvait seule avec les deux enfants, elle surprit une tentative de son filleul pour renverser le berceau de Blandine. Ce jour-là, Axel reçut sa première fessée, administrée au moyen d’une brosse à cheveux dont Flora allait se servir pour le coiffer. Fort heureusement, l’enfant ne retint pas le « sale petit bâtard français » que proféra, dents serrées, l’amie de M me  Métaz.
     
    À peine remise de son accouchement, Charlotte décida de reprendre le chemin de Belle-Ombre. Seule au milieu des vignes, sur la terrasse dominant le lac, elle passait des heures à lire, à rêver, à suivre les barques à voiles latines sur l’eau et la course des nuages au flanc des montagnes de Savoie. Pas plus que Julie ne pouvait oublier Saint-Preux, elle ne parvenait à détacher ses pensées de Blaise de Fontsalte. Héloïse moins vertueuse que celle de Rousseau, puisque ayant consommé l’adultère auquel M me  de Wolmar n’avait pas succombé, elle trouvait injuste que la vie lui refusât un bonheur intime et secret. La lecture d’un ouvrage de M. Étienne Pivert de Senancour, qu’elle avait rencontré à Paris chez les Stapfer et qui lui avait raconté qu’en 1789 il avait failli se noyer dans un torrent du Valais, en montant au Grand-Saint-Bernard, ajoutait à son spleen une résignation oppressante. Dans ses Rêveries sur la nature primitive de l’homme , M. de Senancour constatait cette « importune nullité des heures » qu’elle ressentait parfois si douloureusement.
     
    Certains soirs, elle se prenait à imaginer qu’un événement allait surgir, qui romprait la monotonie des jours et lui rendrait la passion de vivre, la sensation d’exister, même au prix de souffrances inédites et de périls inconnus. « Qu’est la vie si on ne la sent pas à tout instant palpiter en soi, si l’extase est inaccessible, si les illusions de l’amour ne sont pas permises, si l’on nomme bonheur l’harmonie factice et fade de la famille ? » se disait-elle. Abandons condamnables, menaces angoissantes, attentes vaines, philtres interdits, heures mensongères, tout valait mieux que la sérénité béate du contentement bourgeois.
     
    Un soir de juin, le vœu païen de Charlotte Métaz fut exaucé. Elle revenait, seule, de Belle-Ombre, conduisant, sur l’étroit chemin qui serpentait à travers les vignes, le cabriolet offert par

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