Helvétie
ans plus tôt, d’une balle en plein cœur. Cela dissipa les doutes de l’officier et de ses camarades quant à l’origine de la blessure mortelle.
Le fardeau sacré, porté par les soldats du 5 e régiment de ligne qui se relayaient, prit aussitôt, avec son escorte, la route du Grand-Saint-Bernard. Après la longue traversée de la plaine du Pô et de la vallée de la Dora Baltea, il fallut gravir les montagnes et plusieurs officiers, qui, comme Fontsalte, avaient, en 1800, parcouru ce même itinéraire, en sens inverse et sous la mitraille ennemie, reconnurent, chemin faisant, les sites où beaucoup avaient failli périr. Valenza, Ivrea, Bard, Chatillon, Aoste étaient aujourd’hui des villes ou villages paisibles. Quand le convoi funèbre commença à gravir les rudes pentes du Grand-Saint-Bernard, entre Étroubles et Saint-Rhémy, les névés apparurent car, cette année-là, le soleil manquait de force et les nuits restaient froides. C’est dans un décor rude, mais adouci par la blancheur des sommets, que Blaise reconnut, au replat du col, les sombres bâtiments de l’hospice.
Les chanoines vinrent au-devant du maréchal Berthier et du cortège, attendu par toute la communauté et les notables valaisans. Les compagnons de Desaix – vingt officiers et deux cents soldats – participèrent à la prise d’armes. On avait tracé, au bord du lac voisin de l’hospice et encore gelé, une allée bordée d’étendards et de cyprès portant les noms des batailles où le défunt s’était illustré. Au bout de l’allée, sur des piédestaux, figuraient les bustes de Napoléon et de Desaix.
Le 19 juin, sous un soleil radieux et aux accents d’une musique militaire, un dernier hommage fut rendu au héros de Marengo, puis le cercueil contenant ses restes fut porté dans l’église de l’hospice et déposé dans un sarcophage de marbre, devant l’autel de la chapelle consacrée à la sainte Croix et à saint Michel. On mit dans le tombeau l’épée du général, quelques médailles, puis le maréchal Berthier, imité par les officiers, jeta dans le sarcophage une couronne de laurier. Quand le mausolée fut scellé, on regretta qu’il y manquât le bas-relief commandé par Bonaparte au sculpteur Jean-Baptiste Moitte. Ce monument, en voie d’achèvement, se trouvait encore à Paris dans l’atelier de l’artiste 6 . L’empereur, qui, depuis le franchissement des Alpes par l’armée de réserve, portait une affection particulière aux religieux du Grand-Saint-Bernard, leur avait fait envoyer les instruments propres à sceller le tombeau, dont une truelle et un tablier de cuir. Fontsalte et Ribeyre échangèrent un sourire à la vue de ces outils, qui eussent pu passer pour emblèmes de la franc-maçonnerie, symboles déplacés dans un lieu saint 7 ! Un banquet, à l’issue duquel furent prononcés plusieurs discours, acheva la cérémonie. Avant de redescendre dans la vallée, les soldats, rassemblés devant l’hospice, crièrent par trois fois le nom de Desaix, que l’écho des montagnes parut amplifier jusqu’au ciel.
Bien qu’invité par les chanoines à passer la soirée et la nuit à l’hospice, Blaise de Fontsalte, accompagné de Trévotte, préféra descendre aussitôt, par Saint-Pierre, Martigny et Saint-Maurice, vers Villeneuve, où il devait retrouver sa nouvelle berline, une grande voiture noire bien suspendue, venue de Lyon, où il l’avait laissée un mois plus tôt. Une augmentation de solde et les gratifications pour services rendus à l’État avaient permis cet achat. Deux chasseurs à cheval de la Garde des consuls, devenue Garde impériale depuis le 18 mai 1804, affectés au service du colonel, faisaient office de postillons.
Après une nuit passée à Martigny, le colonel Fontsalte gagna Villeneuve. Comme prévu, un message de Charlotte l’attendait à l’auberge du Cerf. L’organisation du rendez-vous, qui ne pouvait être organisé à Belle-Ombre comme l’avait espéré Blaise, avait été minutieusement mise au point par M me Métaz. Blaise devrait se trouver le 22 juin, entre dix heures et onze heures de la matinée, au village de Rouvenaz, entre Clarens et Montreux. Il existait, au bord du lac, une terrasse ombragée près de laquelle M me Métaz, venue avec Flora en bateau de Vevey, débarquerait. La jeune femme conseillait à Blaise de loger un peu plus loin, à Clarens. L’auberge du Bosquet-de-Julie jouissait d’une bonne
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