Helvétie
rejoindre ? Les bains de Loèche seraient salutaires pour votre ankylose de l’épaule… et nous pourrions passer une semaine ou plus ensemble… Je vous soignerai…
– Comment va-t-on à Loèche-les-Bains et quand y serez-vous ? dit Blaise, dont la décision fut prise dans l’instant.
Charlotte avait déjà prévu cette acceptation et les deux amants mirent au point un plan précis. Blaise la rejoindrait dès que l’impératrice aurait regagné Aix-en-Savoie, où Ribeyre devait prendre la relève de son ami. Fontsalte serait ainsi libre de ses mouvements jusqu’au retour de Joséphine en Suisse, début septembre.
– L’impératrice a décidé de revenir à Sécheron dès les premiers jours du mois, afin d’excursionner autour du lac. J’aurai donc deux semaines de liberté, deux semaines à consacrer à l’amour.
Satisfaits par la perspective d’heureux moments à venir, les amants se séparèrent quand Blaise eut remis à Dorette un car ton d’invitation lui permettant d’accéder, avec enfants et amies, aux meilleures places de la tribune d’honneur.
– Vous pourrez ainsi voir de près l’impératrice, et peut-être apercevoir votre serviteur en tenue de société, conclut-il en la quittant.
Pour les enfants, l’Exercice de la Navigation constitua l’apogée du séjour à Genève. En accédant à la tribune d’honneur, construite sur un quai, Charlotte eut en revanche un moment d’émotion que Flora perçut. La proximité probable du général Fontsalte ne constituait-elle pas un danger ? S’il approchait d’assez près l’officier, dont M me Métaz imaginait que la haute taille, la prestance, l’uniforme chamarré et le chapeau à plumet attireraient l’attention, Axel, très observateur, ne manquerait pas de remarquer un regard identique au sien. Blaise découvrant l’enfant, seul garçon du groupe, ne ferait-il pas la même constatation ? Et cela sans parler d’Élise Ruty, curieuse et vigilante, de Pernette, béate devant les beaux militaires !
Flora manœuvra assez adroitement et avec son autorité coutumière pour placer les quatre enfants et Pernette au pied de la tribune, au milieu d’autres bambins privilégiés, accompagnés de leur gouvernante. Puis elle trouva pour Élise Ruty un siège au premier rang et les deux amies s’installèrent au second, derrière l’épouse du notaire. Quand l’impératrice, acclamée par la foule, prit place sous un dais et que les gens de sa suite furent assis, Charlotte comprit que ses craintes étaient infondées. Blaise, au milieu d’autres officiers de la garnison de Genève, se tenait à l’extrémité opposée de la tribune et nul ne vit le signe discret de reconnaissance qu’il adressa à Charlotte.
Pour les Genevois, le lac et les montagnes composaient, depuis toujours, le décor naturel d’une scène où se déroulaient tous les divertissements nautiques. L’Exercice de la Navigation, la plus belle fête de l’année, datait de l’époque où la ville entretenait une flotte de guerre, qu’elle faisait manœuvrer pour tenir en respect l’escadre des comtes de Savoie et rassurer les citoyens. Le 16 juin 1679, le premier Exercice avait été marqué par le couronnement d’un roi de la fête, majesté de carnaval, à qui le titre conférait une notoriété mondaine, devenue très prisée au fil des années. Le souverain éphémère devait offrir de nombreuses libations et un gigantesque banquet à la population. Bien qu’on lui accordât, à cette occasion, l’exonération des droits sur les blés qu’il faisait moudre, la gratuité de la garde et l’autorisation de « faire entrer en ville en franchise huit chars de vin 5 », cette royauté lémanique se révélait, au bout du compte, fort coûteuse.
Depuis leur arrivée en ville, les Veveysans entendaient les bacounis affirmer que la fête de 1810 serait la plus fastueuse qu’on eût vue depuis la Révolution. Au jour de la grande parade nautique, les Genevois et les visiteurs ne furent pas déçus. Depuis le matin, les barques des bourgeois, aux voiles tendues sur les longues vergues inclinées, ce qui les faisait nommer hirondelles par les Genevois, évoluaient entre le Port-Noir et l’île aux Barques. Pavoisées, décorées de guirlandes et conduites par des matelots vêtus de blanc, la taille ceinte de flanelle rouge, certaines transportaient des musiciens. Les flonflons, confus et assourdis,
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