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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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prolonger le souvenir de la fête, lisait à haute voix les gazettes genevoises, tandis que le coupé roulait vers Vevey.
     

    Au lendemain du retour des voyageurs, Chantenoz proposa comme exercice de français à Axel la rédaction d’un compte rendu des journées vécues à Genève. Élise Ruty, ayant eu connaissance de ce devoir, imposa le même à ses jumelles. Quand les récits furent comparés, le précepteur constata avec une certaine fierté que son élève l’emportait de loin sur les petites Ruty, grâce à une observation plus rigoureuse, une plus grande aisance dans la description des lieux, des événements et des gens, un vocabulaire plus riche, une orthographe plus sûre. Charles Ruty et sa femme furent en revanche un peu déçus par les textes de Nadine et Nadette, émaillés de fautes et d’une grande banalité d’expression. Les devoirs des sœurs se ressemblaient trop pour avoir été rédigés séparément et la mièvrerie de leurs observations, portant essentiellement sur la variété et la qualité des pâtisseries dégustées pendant le voyage, faisait mal augurer de la capacité imaginative de l’une et de l’autre.
     
    Toujours gaies et insouciantes, les petites Ruty se consolèrent en disant d’une seule voix que leur ami Axel serait, plus tard, un grand homme et qu’elles se contenteraient d’être de belles et bonnes épouses !
     
    Entre son retour de Genève et son départ pour Loèche-les-Bains, M me  Métaz devait encore entendre parler de Joséphine par des témoins de la vie quotidienne à Malmaison. Un couple de bergers vaudois, Pétrus et Marie, engagés en 1804 par l’impératrice pour s’occuper des moutons mérinos et d’autres races rassemblés dans la bergerie modèle de Malmaison, venaient de rentrer au pays. Dans le même temps, les vachers bernois Jacob Karlen, de Diemtigen, son épouse Magdalena Fischer, de Brientz, et Christophe 7 , qui, depuis 1803, soignaient les dix vaches offertes à Sa Majesté par le canton de Berne, avaient aussi regagné leur village avec des bourses bien garnies.
     
    Les bergers vaudois, connus des sœurs Baldini, racontaient volontiers leur vie au service de l’impératrice. Les vaches bernoises fournissaient la crème dont Joséphine agrémentait son café et le beurre, battu chaque matin, faisait le régal de ceux qui partageaient ses petits déjeuners. Observateurs privilégiés, Pétrus et Marie parlaient avec affection de Joséphine, même si leur sens rustique de l’économie s’effarouchait de ses goûts dispendieux.
     
    – La seule bergerie a coûté trente-sept mille francs et on m’a dit qu’en six ans elle avait dépensé pour plus d’un million cinq cent mille francs en toilettes et bijoux, dit Pétrus en agitant la tête, comme abasourdi par de telles sommes.
     
    – Il faut ajouter à cela les grands dîners, les fêtes, les bateaux, qu’elle avait fait construire pour naviguer sur sa rivière, les antiques, les tableaux, les émaux, les services de porcelaine qu’elle faisait acheter un peu partout. Que d’incroyables fantaisies ! renchérit Marie.
     
    Les bergers reconnaissaient en revanche la générosité de cette aimable cigale, sa gentillesse, son art quand elle se mettait à la harpe et surtout, en dépit de l’humiliante répudiation, sa fidélité à Napoléon. Si, peu après le divorce, elle avait fait transformer entièrement le décor de sa chambre, elle veillait à ce que demeurât intact le cabinet de travail de l’empereur.
     
    – Elle tient à épousseter elle-même les objets du bureau et interdit aux domestiques de déplacer un meuble, un fauteuil, même un livre. C’est une pitié de la voir ainsi, malheureuse et abandonnée parce qu’elle ne peut plus faire de petits, dit Pétrus.
     
    – Et vous savez qu’avec son nez à la retroussette, qu’on dirait qu’y va pleuvoir dedans, elle est encore bien belle et très courtisée. Seulement les hommes sont des cochons. Parce qu’une femme est divorcée et dort toute seule, ils croient qu’elle va se laisser mignoter par le premier venu. La Joséphine, elle les voit venir et sait choisir. Car c’est, bien sûr, pas une nonne. Elle a pas fait des vœux et, croyez-moi, elle a encore le feu des tropiques dans le sang ! confia Marie à Tignasse et Flora.
     
    Pétrus prit le relais :
     
    – Ce qu’elle a, c’est qu’elle se met trop de rouge sur les joues…
     
    – C’est Napoléon qui l’a habituée à ça.

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