Helvétie
souvent, un gros carnet à la main, dessinant un paysage ou une maison. Les sépias qu’il a produits pendant les excursions en Savoie sont d’une grande finesse et d’une agréable fraîcheur 4 . D’ailleurs il m’en a offert plusieurs et je me ferai un plaisir de vous en abandonner un ou deux. Mais quand, dites-moi, quand et où pourrons-nous nous rencontrer dans cette ville autrement qu’en public ? demanda-t-il en désignant d’un signe de tête les nombreux promeneurs.
– À Genève, il est impossible qu’il en soit autrement. Je suis venue avec mes enfants, Flora et une amie, pour assister à la fête. Je ne puis m’absenter longtemps ni souvent… et vous-même paraissez très occupé.
– Je le suis. N’empêche que j’aimerais bien…
– Et moi donc ! Mais je dois être prudente, discrète.
– Vous ne l’avez pas toujours été, fit Blaise, boudeur.
Le visage de Charlotte, amoureuse ardente, contrainte aux emportements furtifs, rares et espacés, s’empourpra au seul rappel des rendez-vous passés.
– Dès le moment où une femme a fait un premier pas dans la voie d’un amour extra-conjugal, voie que la morale interdit d’emprunter mais si agréable à parcourir, il ne lui reste pour devoir que la discrétion. La femme adultère que je suis…
– Oh ! Oh ! En voilà un vilain mot ! railla tendrement Blaise.
– C’est le mot qui désigne les femmes infidèles à leur mari ! Je disais donc que la femme adultère peut choisir d’assumer son péché, ce que je fais depuis dix ans, mais elle ne doit pas en faire partager les conséquences à son époux, ni à ses enfants, ni à ses familiers. Ce n’est plus l’amour qui commande, mais l’honneur. Le vrai péché social est le scandale, Blaise ! Et celui-ci, je ne veux point courir le risque de le commettre. La femme adultère… raisonnable, si j’ose dire, doit donc se montrer discrète et ne pas voir son amant trop souvent.
– C’est exactement, hélas, ce qui se produit. Nous ne nous voyons pas assez souvent à mon gré, dit Fontsalte, entourant d’un bras insistant la taille de Charlotte.
– Certes, c’est là une attitude pleine d’hypocrisie, qui conduit aux inventions, aux mensonges, aux dissimulations, mais c’est la seule capable de maintenir la cellule familiale hors d’atteinte des remous passionnels des uns… ou des autres.
– Mais votre époux est-il lui-même sans reproche ? Peu d’hommes le sont.
– Lorsqu’il se rend seul à Lucerne ou à Lugano, pour ses affaires, il peut, certes, prendre du bon temps avec ses amis, dans des maisons où, dit-on, de jeunes personnes accueillantes distribuent la griserie des sens qu’un mari ne trouve pas toujours auprès d’une épouse. Mais je ne dois ni ne veux le savoir, répliqua Charlotte, un peu pincée.
Blaise fit remarquer que le manque d’entrain et d’imagination de l’épouse conduisait souvent les maris à rechercher ailleurs ce qu’ils ne trouvaient pas dans la couche conjugale.
– Ces épouses-là préfèrent peut-être réserver à l’amant qu’elles n’ont pas le bonheur de rencontrer souvent imagination et entrain, minauda Charlotte.
– L’amant ne saurait s’en plaindre, dit Blaise.
Il rabattit l’ombrelle de sa compagne pour se dissimuler un instant avec elle aux regards des passants et embrassa sa maîtresse dans le cou.
Charlotte, le buste palpitant, tendit sa bouche avec fougue, puis se détacha de Blaise vivement. Elle se mit à pétrir nerveusement ses gants pour sécher ses mains moites, puis, le regard près de chavirer, les lèvres trémulantes, elle enfonça ses ongles aigus dans l’avant-bras de Blaise en le suppliant de ne plus la toucher.
– Cessons, retenez vos caresses, je vous en prie ! Vous me troublez si fort, Blaise ! Dans quel état suis-je, mon Dieu ! Je me conduis comme une lingère ! Ce n’est cependant pas le lieu…
– Où est le lieu et quand nous y retrouverons-nous, alors ? répéta Blaise, sûr de son pouvoir.
M me Métaz fit semblant de réfléchir, semblant, car elle avait depuis longtemps en tête un projet qui lui permettrait de passer en toute tranquillité plusieurs jours et surtout plusieurs nuits avec Blaise de Fontsalte.
– Je dois me rendre, la semaine prochaine, aux eaux de Loèche-les-Bains, pour une cure. Ne pourriez-vous pas abandonner votre impératrice et me
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