Helvétie
pleurait ou tempêtait à tous les étages et, en attendant les réponses que je devais rapporter aux Tuileries, eh bien, j’acceptais les muffins de la concierge.
– Les muffins seulement ?
– Il y avait beaucoup de jolies femmes dans l’entourage de l’impératrice. Et toutes à consoler, car très inquiètes pour leur avenir ! Alors, je prenais les muffins chez la concierge et le reste ailleurs… comme à la guerre !
– Mais, Joséphine, pleure-t-elle souvent ? reprit Charlotte qui ne voulait pas jouer les amantes jalouses.
– Ce n’est pas une femme à pleurer longtemps. Et puis elle reste très attachée à l’empereur, lequel d’ailleurs le lui rend bien… puisqu’il a demandé à Ribeyre de la faire suivre partout, pour être certain qu’elle ne manquera de rien. Ribeyre m’a aussitôt envoyé à Aix-en-Savoie et en Suisse, d’abord pour apporter de l’argent à l’impératrice, qui est fort dépensière, et aussi pour…
– Pour voir si Joséphine ne fréquente pas les ennemis de l’empereur, n’est-ce pas ?
Blaise de Fontsalte sourit et, après un coup d’œil circulaire, embrassa Charlotte sur les lèvres.
– Il m’a aussi envoyé ici pour que j’aie une occasion de vous voir. Ribeyre a une véritable admiration pour vous. Pour en revenir à Joséphine, apprenez qu’elle est coquette et imprévoyante comme une cigale, mais elle est loyale. Ainsi, elle a refusé de s’arrêter à Coppet, chez votre amie M me de Staël. Et cependant, celle-ci comptait bien sur une visite qui eût irrité l’empereur.
Comme Charlotte insistait pour savoir si la belle Joséphine, à qui on prêtait tant d’amants, n’avait pas de consolateur, Blaise, bien qu’il eût aimé parler d’autre chose, satisfit la curiosité de Dorette.
– Son tempérament créole fait qu’elle aime trop la vie et le plaisir pour s’abandonner à une vaine tristesse. Elle sait trouver des consolations, et on lui en propose, croyez-moi ! Dès le lendemain de l’annonce officielle du divorce, elle a été demandée en mariage par un de ses admirateurs de toujours, le duc Frédéric-Louis de Mecklembourg-Schwerin. Ce dernier avait été prié, en 1807, par M. de Talleyrand de cesser, auprès de l’impératrice, des assiduités qui agaçaient d’autant plus Napoléon qu’elles semblaient appréciées par sa femme. Craignant que Joséphine ne succombât, ce qui s’est peut-être produit, au charme d’un beau duc plus jeune qu’elle de quinze années, l’empereur avait fait dire au gentilhomme de rentrer dans ses terres ! Au prononcé du divorce, sachant Joséphine libre d’agir à sa guise, le duc a demandé la main de l’ex-impératrice. Mais, cette fois, c’est elle qui l’a éconduit.
– Elle a eu bien tort. À quarante-sept ans, on ne laisse pas passer un duc amoureux, dit Charlotte.
– Joséphine conserve l’orgueil de son titre et de son rang. Elle se soucie peu d’être duchesse après avoir été impératrice. Elle eût dérogé en épousant le duc. Elle trouve en revanche, auprès d’amants qui ne prétendent à rien d’autre qu’au partage du plaisir, qu’elle sait, dit-on, donner aux hommes, de quoi satisfaire son riche tempérament créole !
– Et qui sont les heureux élus ? J’imagine qu’aux Affaires secrètes vous devez tenir une liste à jour.
– Ceci est très déplaisant, croyez-moi, Dorette. Si ce n’étaient les implications politiques éventuelles, la raison d’État, le général Ribeyre et moi-même, nous ne voudrions pas savoir qui fréquente l’alcôve de Joséphine. D’ailleurs, Ribeyre et moi, nous sommes d’accord pour ne transmettre ce genre de renseigne ment à Savary que s’il y va de la sécurité de l’Empire ou de l’empereur.
– Mais, moi, je ne suis pas ministre de la Police et je serais bien aise de savoir cette malheureuse répudiée aimée par un homme de qualité ! minauda Charlotte.
– Eh bien, soyez satisfaite, je crois que c’est le cas. Le comte de Turpin de Crissé, chambellan de l’impératrice 3 , qui répond au prénom gothique de Lancelot, est un beau garçon, robuste, gai, âgé de vingt-sept ans, soit vingt ans de moins que Joséphine. Il peint très joliment à l’aquarelle et son tempérament optimiste le porte naturellement à voir le bon côté des choses. À Sécheron, où l’impératrice a installé sa maison, on le rencontre
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