Helvétie
constitueras un véritable recueil de maximes et citations, mais tu pourras suivre, à travers les dates de tes choix, l’évolution de tes engouements, de tes admirations, de tes goûts.
Ces notations devaient naturellement appartenir, suivant leur origine, aux trois langues parlées en Suisse et qu’apprenait simultanément Axel : français, italien, allemand, mais aussi au latin et au grec que l’enfant étudiait depuis l’âge de cinq ans et, depuis moins longtemps, à l’anglais. Guillaume Métaz considérait en effet que cette langue deviendrait celle des affaires comme le français restait la langue de la diplomatie.
Pour faire comprendre à son élève les raisons du trilinguisme suisse, Chantenoz avait une manière personnelle et un peu simpliste de résumer l’histoire de la Confédération.
– Dans les temps anciens, quand les Romains annexèrent à la Provincia de Genève le pays des Allobroges, le Valais et la Rhétie, ce qui représentait à peu près notre Suisse d’aujourd’hui, les Helvètes, les Gaulois et les Celtes, qui s’étaient établis dans la région, ne connaissaient qu’une seule civilisation et ne parlaient qu’une seule langue, le latin. Vevey s’appelait alors Viviscus et la capitale de l’Helvétie Aventicum, que nous appelons aujourd’hui Avenches, ville située dans le nord du canton, près du lac de Morat. Quand tu étudieras la Guerre des Gaules , de Jules César, tu comprendras ces choses et je te conduirai à Avenches.
– Oh ! oui, Martin. Mais il reste à voir des… choses romaines ?
– Tu verras les vestiges de l’ancienne capitale des Helvètes, bien que la ville actuelle ne donne qu’une faible idée de la grande cité d’autrefois, dont l’enceinte avait près de deux lieues de tour. Il a fallu que viennent les barbares, d’abord les Alamans, les Burgondes, puis les Huns et les Lombards, pour que soit compromise une civilisation florissante. Pense que les Helvètes avaient déjà planté la vigne sur les rives du Léman. Les envahisseurs pillèrent le pays, s’y installèrent et apportèrent leurs mœurs et leurs langues. C’est à cause d’eux que tu es aujourd’hui contraint d’apprendre trois langues pour comprendre tous les Suisses ! Notre Confédération est, à elle seule, une petite Europe. Elle pourrait devenir, si les hommes étaient moins sots et plus entreprenants, le germe exemplaire d’une Europe fédérative. Mais c’est une autre affaire !
Pour inciter Axel à la pratique et à l’écriture des langues, Chantenoz s’inspira d’une méthode fondée par Goethe. Il dit à l’enfant d’imaginer qu’il avait des amis qui habitaient dans les différentes régions de la Suisse et auxquels il écrivait en français, en allemand, en italien, pour donner de ses nouvelles et raconter les événements de sa vie quotidienne. Axel s’inventa donc deux correspondants qu’il nomma Paul et Ulrich et une correspondante qu’il baptisa Béatrice, par référence à l’élue de Dante.
Chantenoz décida aussi qu’il s’entretiendrait avec son élève les lundi et jeudi en français, les mardi et vendredi en allemand, les mercredi et samedi en italien. Le dimanche, on serait contraint d’employer la langue où l’enfant aurait eu, dans la semaine, le plus de déficiences.
Mis au courant de cette pratique, Blanchod, qui estimait qu’on pouvait fort bien vivre sans connaître autant de langues, s’étonna que Martin Chantenoz eût négligé le romanche, considéré par lui comme une langue nationale, au même titre que les trois autres, et surtout le schwyzerdütsch, dialecte alémanique, que tout le monde, en Suisse, était censé comprendre ! Chantenoz s’insurgea contre cet helvétisme étroit et suranné, surtout pour le fils d’un bourgeois dont le négoce dépassait les limites du pays, qui aurait un jour à voyager, à prendre la succession de son père. Alors que les affaires allaient se développant à travers l’Europe, pourquoi charger l’esprit et la mémoire d’un enfant doué pour les études avec des patois que n’employaient que les paysans, les gens sans instruction, les vieillards et les conservateurs opposés à toute évolution ?
– Sais-tu dans quelle langue fut conclue, le 1 er août 1291, la fameuse Alliance perpétuelle entre les cantons d’Uri, de Schwyz et d’Unterwald, qui passe pour fondement de la Confédération ?
– En schwyzerdütsch,
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