Helvétie
Tuileries, vînt à bout de la résurgence impériale. À Vevey comme ailleurs, on suivit avec une attention fébrile la reprise des hostilités, d’autant plus qu’on y entendit pour la première fois le canon.
Le 21 juin, il se mit à tonner sur la rive sud du lac, du côté des carrières de Meillerie, où s’étaient rencontrés les Autrichiens, descendant du Valais, et les Français venus de Carouge. Un batelier de Guillaume Métaz, qui avait quitté les carrières peu de temps avant les premiers coups de feu, assurait que la troupe française, commandée par le colonel Bochaton, était forte de quatre compagnies plus cent cinquante partisans et dotée d’une seule pièce d’artillerie. Les Autrichiens étaient soutenus par des grenadiers sardes et des chasseurs tyroliens, excellents tireurs.
– Et tout ce monde se bat dans et autour des carrières. J’ai dit à un artilleur que ses boulets pourraient bien faire le travail des carriers, mais aussi ensevelir tout le monde, si les grandes plaques leur tombent dessus !
– Sacrebleu, et qu’a-t-il répondu ? demanda Métaz, fort inquiet pour sa propriété.
– Il a dit comme ça… Vrai, j’ose pas dire, patron !
– Dis, nom d’une pipe, dis ce qu’il a répondu, ce vaurien !
– Il a dit comme ça : « Va voir un peu si le cul de ton patron a pas besoin d’un coup de canon ! »
Chantenoz et Charles Ruty éclatèrent de rire. Guillaume haussa les épaules.
Sur la terrasse de Rive-Reine, on s’arrachait les lorgnettes de Charles Ruty et de Guillaume Métaz, pour tenter de voir d’où partaient ces flocons blancs, crachés avec les boulets par le canon français, et si les coups portaient. Mais on ne trouvait pas deux observateurs voyant de même ! Tous les Veveysans se pressaient cependant sur les berges et certains redoutaient l’arrivée par le lac de fuyards, de déserteurs ou de blessés.
– Je n’ai qu’une barque à Meillerie, mais sûr qu’ils vont me la prendre, se lamentait Guillaume.
Ils la prirent et, quand la canonnade cessa, les Français, qui n’avaient pu s’emparer de Saint-Gingolph, s’étant repliés sur Thonon et Carouge, on vit, au matin du 22 juin, le bateau aborder devant la place du Marché. Guillaume s’y précipita, Axel et ses amis sur les talons. Déjà, des femmes s’occupaient des quelques blessés que les bateliers avaient embarqués. On sut qu’il y avait des morts des deux côtés, dont deux officiers français.
Charles Ruty reconnut, parmi les passagers militaires, un civil hagard : le receveur général du Trésor de Thonon. Ce fonctionnaire avait réussi à sauver la caisse contenant les finances publiques, que les Autrichiens eussent pillées aussi allégrement que les Français. Les Métaz lui offrirent aussitôt l’hospitalité.
Après cet épisode local, les Vaudois suivirent, avec, toujours, une bonne semaine de retard, la brève campagne de Belgique et la lutte courageuse de Murat en Italie. Quand fut consommée la défaite de Waterloo et rendue publique la seconde abdication d’un empereur cette fois irrémédiablement vaincu, Flora Baldini put lancer, avec sa véhémence coutumière et sans être contredite, la vraie condamnation de Napoléon :
– L’ogre n’est revenu d’Elbe que pour immoler cent mille hommes de plus à son orgueil, dit-elle, posant un regard noir sur Charlotte, dans l’ignorance du sort de son amant.
Au cours de cette année 1815, si fertile en événements, Axel Métaz fit de grands progrès en latin et en grec, dans ce qu’il nommait les langues suisses, en littérature, en histoire, en géographie, en sciences naturelles et commença de s’intéresser à la philosophie. En revanche, il se révéla médiocre en mathématiques, matière dont Martin Chantenoz avait d’autant plus tendance à négliger l’enseignement qu’il était lui-même incapable d’en comprendre les subtilités. Guillaume ayant exigé que son fils puisse connaître l’essentiel de l’art chiffré de la comptabilité, le garçon fut pourvu d’un professeur spécialisé, chez qui il se rendit sans enthousiasme deux fois par semaine.
Dans le même temps, il dut, comme tous les enfants de son âge, assister au cours de catéchisme pour se préparer à la confirmation, renouvellement des vœux du baptême que l’on prononçait à seize ans, avant d’être admis à participer à la Sainte Cène,
Weitere Kostenlose Bücher