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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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sacrement qui correspond à la première communion chez les catholiques. Mais, plus que les riches annales de l’Histoire sainte, les merveilleux mensonges qui avaient tenu lieu, pendant des siècles, de croyance aux Grecs et aux Romains passionnaient Axel.
     
    À toujours entendre parler, autour de lui, de cet ensemble de pays en guerre, qu’on nommait Europe, il voulut savoir l’origine du mot et Chantenoz lui proposa, en guise de réponse, l’étude d’une aventure mythologique qui, aussitôt, enfiévra son imagination : l’enlèvement d’Europe, fille d’Agénor, par Jupiter.
     
    Le garçon vit dans le travestissement de Zeus amoureux, qui se métamorphose en taureau docile pour séduire une belle mortelle, un geste sublime et rassurant, Jupiter démontrant ainsi que les dieux, comme les humains, sont capables de folles entreprises, quand le désir de la femme les saisit.
     
    Après avoir lu et commenté l’Iliade , que son mentor donnait, à l’instar de la plupart des éducateurs académiques, comme fondement indispensable à toutes les études de civilisation, Axel dut traduire, en vers français, le chant IX, où Ulysse s’en vient prier Achille de reprendre les armes contre les Troyens, en vers italiens, les adieux d’Hector à Andromaque, en vers allemands, ce qui lui donna beaucoup de mal, les funérailles d’Hector. Cela avant d’ouvrir l’Odyssée et d’accompagner Ulysse dans sa circumnavigation dilettante.
     
    Martin Chantenoz, pour distraire son élève, introduisit un Latin chez les Grecs. Ce fut dans les Métamorphoses d’Ovide que le garçon, de quatorze ans révolus, trouva le récit à ses yeux le plus exaltant et le plus coloré de l’enlèvement d’Europe. Plus que le vieil Homère, le Latin des Abruzzes savait rendre toute fable crédible et enivrante. Axel passa ses soirées à traduire, sans que Martin eût besoin d’insister, la croisière sur le dos d’un taureau, à travers la mer Égée, de l’imprudente et jolie fille du roi de Phénicie. De cette étude le garçon sortit rêveur et ravi.
     
    Après les Métamorphoses , comme il réclamait Ovide à son maître, ce dernier l’invita à lire du même auteur les Tristes et les Portiques . Ces élégies et ces épîtres, qu’Axel se contenta de traiter cette fois comme devoirs, en écolier, le firent bâiller. Elles contenaient trop de descriptions, trop de nostalgie, trop d’états d’âme mélancoliques, trop de plaintes et de supplications. Et puis le sentiment d’abandon que le poète romain, exilé à Tomes, développe avec complaisance l’agaçait. Ovide ne devait ses malheurs qu’à lui-même. N’avait-il pas été chassé de Rome pour s’être mêlé de politique, la première bévue que doit éviter un artiste ?
     
    Pour Axel, Ovide était d’abord le conteur élégant et badin, le chantre de l’amour antique, l’insouciant butineur de beauté. Le livre qu’il aurait bien voulu obtenir de Martin, et dont la souple reliure de maroquin vert aux fers dorés attirait sans cesse son regard sur les rayons de la bibliothèque de son mentor, était l’Art d’aimer . L’ouvrage passait pour un véritable traité de la séduction et, depuis qu’il avait lu chez un commentateur du poète que ce dernier affirmait lui-même n’avoir pas écrit ce livre à succès pour les honnêtes femmes, Axel lui trouvait le parfum du fruit défendu. Quand Martin Chantenoz lut la version axelienne du passage des Métamorphoses qui raconte l’enlèvement d’Europe, le maître fit quelques remarques acerbes sur les erreurs de traduction, souligna des approximations vicieuses, corrigea des superlatifs mais reconnut finalement que l’esprit du texte gagnait en lyrisme ce que la lettre perdait en fidélité. Ayant compris que son élève s’était abandonné à son penchant romanesque, il le mit en garde :
     
    – Attention, tu es en présence d’une altération chatoyante du répertoire grec, mon garçon. Ovide est un galant, un mondain, un bel esprit, un habile, un virtuose, un décadent, un cherche-à-plaire.
     
    C’était là une des expressions préférées de Martin : pour lui, tous ceux qui présentaient les choses sous leur meilleur jour étaient des cherche-à-plaire.
     
    – Oui, mon garçon, Ovide assaisonne la mythologie au goût de la jeunesse dorée et des patriciennes romaines, ses lecteurs et ses clientes. Quand il décrit les vierges de Tyr jouant avec la princesse Europe au teint de

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