Helvétie
secrétaire Joseph-Louis Mailliard était censé connaître l’emplacement exact de ces cachettes, mais Blaise de Fontsalte, qui suivait de loin à la lorgnette cette discrète inhumation, aurait pu les retrouver. Le crépuscule s’annonçait sur le lac par une brume mauve et le général allait quitter son poste d’observation quand le comportement d’un valet de la reine Julie, qui se trouvait à Paris où sa mère était décédée le 28 janvier, attira son attention. Il vit l’homme, un domestique de confiance, desceller un des blocs de pierre formant soubassement de la margelle d’une fontaine à trois bassins, située près de l’entrée du parc. Le valet glissa dans une cavité plusieurs petits sacs de cuir puis, ayant remis la pierre en place, la rejointoya avec le ciment extrait d’un seau. Blaise se dit que la bonne reine Julie, qui n’ignorait rien des infidélités passées de son mari, voulait peut-être s’assurer, étant donné les incertitudes de l’avenir, quelques ressources personnelles cachées !
Joseph Bonaparte possédait des domaines en France, une terre aux États-Unis, de nombreux tableaux de grande valeur, signés Velázquez, Murillo, Titien, Van Dyck, Léonard de Vinci, Raphaël Mengs, Rubens, et une fortune bien arrondie par ses royautés successives ! Sans être un pillard, cet amateur d’œuvres d’art, qui tenait au confort et au faste, s’était servi à Naples comme à Madrid. Depuis 1814, les Espagnols se demandaient d’ailleurs où étaient passés les bijoux de la couronne, dont Ferdinand VII avait laissé un scrupuleux inventaire avant de céder son trône. Les généraux Ribeyre et Fontsalte étaient de ceux qui auraient pu, peut-être, donner une réponse !
Mais, en ce 19 mars 1815, l’heure n’était pas aux révisions comptables. Avant de quitter Prangins, le roi Joseph voulut prouver sa reconnaissance à ceux qui l’avaient si bien accueilli au bord du Léman. Il distribua aux épouses de ses voisins parures ou colliers. À Lina Guiguer, fille du colonel, il fit porter un déjeuner d’enfant en argent massif, cafetière, théière, pot à lait, sucrier, tasse avec soucoupe, le tout présenté sur un plateau d’acajou à galerie d’argent ! Quand tout fut en ordre, le frère de Napoléon, quittant Prangins par un escalier secret, embarqua avec ses filles sur un bateau qui les conduisit à Genève, où tout avait été organisé pour un passage de la frontière vers minuit. Par le fort de l’Écluse et Bellegarde, la berline prit sans encombre la route de Paris. Le 23 mars, Joseph dînait aux Tuileries, en famille, après avoir embrassé son frère, accueilli trois jours plus tôt de manière triomphale par les Parisiens, tandis que Louis XVIII, au grand galop de la peur, arrivait à Gand.
Les Vaudois, qui n’avaient eu connaissance de l’évasion de Napoléon de l’île d’Elbe qu’au moment où l’empereur approchait de Paris, sentirent renaître toutes leurs inquiétudes. Cette fois-ci, même Guillaume Métaz, qui savait toujours quelle attitude adopter, avoua son indécision. Chantenoz, Blanchod, les Ruty et tous les familiers de Rive-Reine n’osèrent se prononcer. Jamais l’idée de neutralité n’avait eu autant de partisans et de défenseurs. Fort heureusement, le civisme et la prudence politique de ceux qui avaient en charge les destinées du canton furent salutaires. Le départ clandestin de Joseph Bonaparte avait évité qu’on n’arrêtât le frère de celui que toute la France semblait avoir attendu pendant neuf mois, comme l’enfant chéri de la patrie. Le commissaire fédéral et son escorte n’avaient trouvé à Prangins, le 20 mars au matin, que des domestiques vaudois, qui ne savaient rien, et des armoires vides ! Si l’Empire renaissait de ses ruines, le pays de Vaud pourrait se targuer d’avoir offert plus que l’hospitalité aux Bonaparte. Si les Alliés, qui n’allaient certainement pas accepter le retour du « tyran de l’Europe », l’emportaient une nouvelle fois, les Vaudois pourraient toujours faire valoir qu’ils se préparaient à arrêter le roi Joseph à la date souhaitée par Berne mais que celui-ci avait passé la frontière du Jura à la barbe de la police et même des espions appointés par les autorités confédérales !
L’incertitude dura trois mois, cent jours exactement, le temps que la septième coalition, réunie dix jours après le retour de Napoléon aux
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