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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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le cliquetis des couverts d’argent contre la porcelaine !
     
    Une autre fois, ils s’étreignirent à la sauvette dans la salle d’étude de Rive-Reine, et aussi dans la chambre du château de La Tour-de-Peilz où était morte, trente ans plus tôt, Margaret Beckford. Janet, qui croyait à l’existence de fantômes opportunément évoqués la veille par sa mère, avait refusé d’accompagner celle-ci. Axel, devinant le stratagème, s’était aussitôt proposé. En revanche, ils s’aimèrent plus confortablement l’après-midi à Belle-Ombre, dans le lit où Axel avait été conçu seize ans plus tôt, et, d’une façon plus risquée et silencieuse, pendant trois nuits, « chez Mathilde », à Lausanne, où M me  Métaz avait invité Mrs. Moore et sa fille. Axel rejoignit Eliza dans sa chambre, alors que sa mère, sa sœur Blandine et Janet dormaient à l’étage inférieur.
     
    Après les intermèdes les plus hardis, le garçon se sentait un peu confus et même mal à l’aise en retrouvant la compagnie, alors que Mrs. Moore, avec un parfait sang-froid, sa toilette rétablie, rejoignait les invités en racontant avec force détails l’incident imaginaire qui avait motivé son absence. Parfois, elle poussait même le jeu pervers jusqu’à faire remarquer, comme à Lausanne, qu’Axel avait petite mine, travaillait, ou lisait trop… la nuit !
     
    En quelques semaines, Elizabeth Moore apprit à Axel Métaz l’art amphibologique de la dissimulation. Attitudes méditatives, façons distantes, self-control , comme elle disait, estimant que le mot français sang-froid ne traduisait qu’imparfaitement la notion positive de la maîtrise de soi à l’anglaise : tout devait concourir à dissimuler aux autres sentiments, envies, peines ou bonheur. D’autant plus, ajoutait-elle, citant approximativement Épicure, que : « Tous les vrais plaisirs sont d’ordre physique. »
     
    En femme qui aimait l’amour comme on aime le vin, c’est-à-dire en tant que substrat d’une griserie, Eliza avait apprécié que le garçon fût à la fois très jeune, doué d’une sensualité délicate mais résistante et déjà assez instruit des gestes de l’amour pour se comporter en homme, en amant compétent. Car lady Elizabeth n’avait pas vocation à jouer, comme autrefois Tignasse, les initiatrices pour puceaux !
     
    Axel n’était entré dans cette aventure que pour satisfaire le désir qu’il avait de posséder une belle dame, mais, très vite, il devint amoureux d’Eliza. Comme tout homme épris d’une femme mariée qui lui a ouvert les bras sans atermoiement ni scrupule apparent, il finit par poser des questions sur le mari oublié. D’après Janet, sir Christopher était un excellent père, se conduisait toujours en parfait gentleman, gérait avec sagesse ses domaines, fréquentait les cercles les plus fermés de Londres, avait son couvert chez les ministres, ses entrées à Buckingham et, surtout, chassait à courre avec les plus grands noms d’Angleterre.
     
    Mrs. Moore, devinant le sentiment qui poussait Axel, refusa d’abord, en prenant un air triste et accablé, de parler de son époux.
     
    – Cher garçon, my love , ne parlons pas de ces choses. Je suis heureuse ici avec toi. Ces heures sont des moments privilégiés qui rachètent pour moi bien des jours sombres…
     
    – Vous êtes malheureuse… en Angleterre ? s’inquiéta Axel.
     
    – Aux yeux des gens, je passe certainement pour une femme très heureuse, alors que… la réalité est bien différente, Axel.
     
    – Mais… dites-moi, insista le garçon.
     
    – Non, dis-moi, tu dois dire !
     
    Eliza exigeait en effet qu’il la tutoyât dans leurs moments d’intimité. « C’est un des charmes de la langue française dont les amoureux anglais sont privés… puisque nous ne tutoyons que Dieu et quelquefois les fantômes… dans les poèmes », avait-elle ajouté.
     
    – Alors, dis-moi, je veux savoir pourquoi tu n’es pas heureuse comme on le croit, reprit-il.
     
    – Parce que les choses ne sont pas aussi simples que vous semblez le croire, vous, les Vaudois. Depuis que je suis arrivée ici, j’ai le sentiment que votre lac est un magicien tutélaire et que vos vignes suent de l’or. Sur ses rives, on travaille en paix, on s’aime, on ne semble pas connaître le mal et les turpitudes humaines. Vous avez de la chance de vivre ainsi, dans une sorte de simplicité biblique.
     
    Par atticisme,

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