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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l’élève de Martin Chantenoz s’insurgea :
     
    – Dis que nous sommes des rustres, des paysans, des êtres primitifs, que tous nos gestes et nos sentiments sont ceux de barbares amollis ! Des gens que la civilisation n’a pas encore atteints, en somme ! fit Axel avec un peu d’humeur.
     
    – Ce n’est pas du tout ce que je veux dire. Je crois, au contraire, que vous êtes sages et de parfaits jouisseurs de la vie. Un décor superbe, un climat sain, du vin sur vos coteaux, des lois justes et, avec ça, sachant plaire et faire plaisir aux femmes…, j’en sais quelque chose, my sweet boy !
     
    – Mais tu as l’art de dévier la conversation. Je veux savoir : ton mari est-il… amoureux de toi ?
     
    Mrs. Moore sourit avec tendresse et le regard qu’elle posa sur Axel, à travers la frise de ses longs cils, le jeta confus dans ses bras.
     
    – Je comprends ce que tu veux dire, mais tu n’as pas à être le moins du monde jaloux. Il y a des années que sir Christopher ne m’approche plus, n’entre plus dans ma chambre. C’est clair ?
     
    – Il ne vous aime plus ?
     
    – S’il m’aime, je ne sais. Peut-être comme il aime ses chevaux ! Sans doute pas tout à fait autant, cependant ! Mais nous sommes tous deux issus de familles qui comptent en Angleterre, comprends-tu ? Pour te rassurer, je puis te dire, et j’aimerais que nous en restions là, en tant que femme, je n’intéresse pas sir Christopher. Voilà.
     
    Comme, après cette conversation, Axel assurait une fois de plus Mrs. Moore de sa passion « indéfectible et éternelle » – ce furent ses mots – Eliza lui mit la main sur la bouche.
     
    – Tais-toi, tais-toi ! Tu peux te faire très mal… et à moi aussi ! Il ne faut pas confondre l’engouement passionné des sens avec le véritable amour qui est captation de l’âme ! dit-elle avec un trémolo dans la voix, trahissant un émoi qui n’était pas feint.
     
    Cet entretien satisfit Axel, encore enfantin et bien naïf, malgré la précocité de ses rapports avec les femmes. Désormais, il n’imagina plus Eliza, son Eliza, contrainte de se livrer à un gros homme barbu, arrogant et cruel, qui ressemblait à Henri VIII, dans un lit à baldaquin, au fond d’un sinistre manoir à la Walter Scott, dont il venait de lire le dernier roman historique, le Lord des îles , prêté par Janet Moore.
     

    Les dames Moore, comme on les appelait à Vevey, n’étaient pas les seuls sujets de Sa Très Gracieuse Majesté britannique présents autour du Léman ce printemps-là. À Genève, d’après un chroniqueur local, ils étaient « presque aussi nombreux que les natifs », mais deux d’entre eux seulement intéressaient Martin Chantenoz, deux poètes fameux dont la vie privée défrayait la chronique en Angleterre : lord Byron, qu’il mettait au rang de Goethe, et Percy Bysshe Shelley. Les journaux mentionnaient leurs déplacements.
     
    Shelley était arrivé le premier, le 15 mai, en compagnie de sa jeune maîtresse, Mary Godwin, et de Claire Clairmont, dernière conquête londonienne en date de lord Byron. Claire et Mary s’aimaient comme des demi-sœurs qu’elles n’étaient pas, la seconde étant la fille, d’un précédent mariage, du deuxième mari de la mère de la première !
     
    Le trio s’était installé à l’hôtel d’Angleterre, chez Jean-Jacques et Jérémie Dejean, qui avaient, au fil des années, des guerres et des révolutions, vu défiler de nombreuses célébrités, têtes couronnées ou découronnées, artistes peintres, écrivains ou acteurs. Ils avaient même accueilli, en 1783, M. William Beckford et sa jeune épouse, née Margaret Gordon, alors en voyage de noces.
     
    Puis, le 25 mai, avait débarqué, en grande pompe, chez Dejean, George Gordon, lord Byron, qui ne s’attendait pas à trouver là Claire Clairmont, dont il n’était pas amoureux.
     
    Pour éviter la France et les Français qu’il n’aimait guère, le poète avait quitté Douvres le 25 avril, touché le continent à Ostende, traversé Gand, Anvers, Malines, bifurqué vers Bruxelles, visité le champ de bataille de Waterloo avant de continuer sur Karlsruhe, Bonn, Coblence, Mayence, Mannheim et Bâle. Il voyageait dans une immense et lourde berline, copie de celle de Napoléon I er , fabriquée, spécialement pour lui à Londres, par le carrossier Baxter, auquel il devait encore le coût du véhicule : cinq cents livres. Cette voiture faisait

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