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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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s’il a fui l’Angleterre, c’est parce qu’il est proscrit pour avoir commis le crime d’inceste avec sa sœur, Augusta ! On dit « qui se ressemble s’assemble », n’est-ce pas ?
     
    Axel, un peu déconcerté par le conformisme inattendu d’Elizabeth, fit observer que leur propre comportement devait être, si l’on jugeait à la même aune, moralement et socialement critiquable.
     
    – Tu devrais peut-être faire preuve de plus d’indulgence, surtout à l’égard de lord Byron, sorte de génie, que j’aimerais tant rencontrer…
     
    – Nous, toi et moi, en nous donnant du plaisir en secret, nous ne causons pas de scandale et nous ne faisons de peine à quiconque. Ne va pas comparer l’amour et l’inceste, une gerbe de roses avec un tas de fumier !
     
    Quand il avait rapporté à Chantenoz les propos de Mrs. Moore, le mentor s’était récrié avec véhémence :
     
    – Cette opinion reflète bien l’état d’esprit d’une gentry hypocrite. Les Anglais de Genève, et même les Genevois, s’en inspirent. Certains vont jusqu’à dire que nos deux poètes échangent leurs femmes au milieu de la nuit afin de comparer leurs performances sexuelles, d’autres insinuent qu’il y a de l’inceste dans l’air et, qui plus est, à leurs yeux, de l’athéisme ! Il s’en trouve pour soutenir que Byron et Shelley ont signé un pacte avec le démon, par lequel ils se seraient engagés à « outrager tout ce qui est regardé comme le plus sacré dans la nature humaine ».
     
    – Est-ce possible, Martin, ce genre de choses ? demanda Axel, stupéfait.
     
    – Ce sont des ragots… et, même si les fautes commises en Angleterre par Shelley et Byron sont réelles, personne n’a le droit de juger un poète. Le poète ne peut avoir une vie banale. Un poète n’est pas, Axel, un simple mortel. C’est un élu des dieux !
     
    – Je comprends cela, mais les gens veulent qu’on leur ressemble. Or, moi, je n’aime pas ressembler aux autres.
     
    – Tu auras souvent l’occasion dans la vie, étant donné ton caractère, tes goûts, tes façons, tes exigences, d’être, toi aussi, en contradiction avec ton époque et même, parfois, de te sentir étranger au milieu des tiens. C’est le lot de certains hommes.
     

    Grâce à M. Métaz, Chantenoz et Axel purent cependant approcher Byron, Shelley et leurs compagnes… à la lorgnette. Guillaume connaissait le banquier de Byron à Genève, M. Hentsch, et obtint par lui que le propriétaire d’une maison voisine de la villa Diodati hébergeât, pendant quelques jours, son fils et le précepteur de ce dernier. C’est ainsi qu’ils aperçurent, quand il ne pleuvait pas, Byron lisant, assis sur un banc, à l’ombre d’un pommier, ou écrivant sur le balcon, devant ce que les initiés affirmaient être sa chambre. Bientôt, Axel et Chantenoz connurent tout de l’emploi du temps du poète, qui les attirait plus que son ami Shelley, dont la demeure, plus modeste, se trouvait presque sur la berge du lac, en contrebas de la villa Diodati. Par observation directe ou en écoutant parler les gens informés par des domestiques indiscrets et des fournisseurs fureteurs, ils surent que Byron déjeunait tard, de thé et de pain frais, puis se promenait dans le parc, dînait à cinq heures, toujours seul – il ne supportait pas de voir une femme en train de manger – d’une assiette de légumes, en buvant du vin de Graves allongé d’eau de Seltz. Chaque soir, vers six heures, quel que fût le temps, il descendait, à travers vignes et champs, retrouver à Mont-Alègre son ami Shelley, Mary Godwin et Claire Clairmont, qu’il appelait aussi Clara. Ensemble, ils montaient dans un bateau loué et s’éloignaient de la rive à la rame. Le soir, quand le vent était favorable, on les entendait chanter et rire.
     
    – En somme, des gens heureux menant une vie simple qui ne peut scandaliser personne…, même pas Mrs. Moore, constata malicieusement Martin.
     
    – C’est vrai qu’ils ont l’air heureux et peut-être aurons-nous un jour un poème de lord Byron évoquant ce printemps, dit Axel 7 .
     
    La nuit protégeait des indiscrétions à la lorgnette les poètes et leurs amis. Chantenoz, qui fréquentait, le soir, la taverne du village, apprit par un paysan qu’une femme montait, à la nuit tombée, de Mont-Alègre à Diodati et qu’elle redescendait avant le lever du jour. Ces visites avaient été constatées par des vignerons.

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