Helvétie
partout l’admiration de ceux qui l’approchaient. Elle contenait en effet un lit, une table à écrire et à manger, un placard plein de vaisselle et d’argenterie, une bibliothèque bien garnie.
L’auteur de Childe Harold était accompagné d’un maître Jacques se disant philosophe, William Fletcher, d’un médecin, le docteur John W. Polidori, qui avait appris la médecine à Édimbourg, d’un valet suisse nommé Berger et de trois servantes anglaises, qui suivaient, avec les bagages, dans une voiture ordinaire. S’il avait été, à Londres, l’amant d’une nuit et sans grand empressement de Claire Clairmont qui le poursuivait depuis de ses assiduités, Byron n’avait jamais rencontré Shelley avant d’arriver à Sécheron. Certaines œuvres de ce confrère en poésie et en proscription lui étaient cependant familières, Queen Mab , notamment, qu’il tenait pour un chef-d’œuvre. Les deux hommes sympathisèrent immédiatement et formèrent bientôt, avec Mary, Claire et le docteur Polidori, un groupe fantaisiste qui ne passait pas inaperçu.
Au bout de peu de temps, les Anglais en eurent assez d’être attendus, observés, suivis par des familles entières pour qui l’hôtel d’Angleterre, à Sécheron, était devenu, depuis leur arrivée, un but de promenade.
Les Shelley décidèrent les premiers de fuir les indiscrets. Ils traversèrent le lac, passant de la rive nord à la rive méridionale moins fréquentée, et louèrent à Cologny la maison de Jacob Chapuis connue sous le nom de Mont-Alègre. Quelques jours plus tard, lord Byron et sa suite émigrèrent à leur tour, le poète ayant retenu la plus belle villa de Cologny, propriété de la famille Diodati, dont le fondateur, Alessandro, né en 1459, avait été gonfalonier de Lucques. Un tel patronage ne pouvait que séduire celui qui, avant de quitter l’Angleterre, venait de publier Parisina , tragédie à l’italienne.
Au milieu des vignes et des prés pentus, construite à flanc de coteau, la villa Diodati constituait, avec sa terrasse, un belvédère idéal. On y jouissait d’une vue exceptionnelle sur le lac, Genève enclose dans ses remparts et, au-delà de Pregny et Sécheron que les poètes venaient de quitter, sur la chaîne du Jura.
Après une rude montée, une double rangée d’arbres séculaires abritait l’allée qui conduisait à une cour, prolongée par un bouquet de marronniers, sur laquelle ouvrait la maison, construite vers 1710 par Gabriel Diodati. Cette grande bâtisse rectangulaire était sans prétentions architectoniques mais la distribution intérieure en faisait un havre confortable, d’où l’on ne pouvait rien oublier du superbe décor : le Léman, le ciel, les montagnes, la proche cité de Calvin.
Un calme bucolique régnait sur le paysage ; dans les vignes déjà bourgeonnantes grésillaient les grillons et le domaine paraissait assez vaste pour que les plus proches voisins ne soient pas gênants. Lord Byron élut domicile dans une chambre du rez-de-chaussée, côté cour, mais au premier étage côté lac. Pourvue d’une cheminée, la pièce aux murs bleu pâle offrait pour tout décor de fines moulures « dans le genre le plus délicat du xviii e siècle » et quelques gravures ayant pour sujet le lac omniprésent et les montagnes. Le poète installa sa table devant une baie et fut enchanté de découvrir que l’ambiance du site « contrastait avec le monde orageux » où il avait vécu 6 .
Dès que Chantenoz fut informé de l’installation des deux poètes anglais contemporains qu’il admirait le plus, il n’eut de cesse d’obtenir une introduction pour les approcher avec son élève. Mrs. Moore paraissait toute désignée pour jouer les introductrices, mais elle déçut en éludant la demande du précepteur. Axel n’eut pas plus de chance mais apprit, en revanche, pourquoi Eliza refusait d’intervenir auprès de compatriotes qu’elle n’avait d’ailleurs jamais rencontrés mais que la bonne société tenait à l’écart.
– Ces écrivains ont probablement du talent, cela se dit chez nous, mais ils ne sont, en tant qu’hommes, ni l’un ni l’autre recommandables. Mr. Percy Shelley a abandonné sa femme et son enfant pour vivre avec une fille, sans doute dénaturée, de ce William Godwin, auteur de Political Justice , incroyant, républicain, terroriste, qui prône l’union libre ! Quant à lord Byron, sorte de don Juan claudicant,
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