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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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mariée à John Rocca 12 . Mrs. Elizabeth Hervey, romancière et demi-sœur de William Beckford, ne s’était-elle pas évanouie en voyant son illustre compatriote entrer dans le salon !
     

    Ces péripéties intellectuelles et mondaines étaient ignorées de la plupart des Veveysans et ceux qui s’y intéressaient, souvent pour s’en gausser, eurent, dès le commencement de l’automne, de plus sérieuses préoccupations. La disette, prévue et redoutée, apparut dès le commencement de l’hiver. Moins sensible dans le canton de Vaud, qui disposait de plus de ressources et bénéficiait, avec le lac, d’un régulateur climatique, elle sévit bientôt dans toute l’Europe occidentale. En France, certaines régions souffraient de façon tragique de la famine : le Jura, l’Ain, le Doubs, la Haute-Saône, les Vosges et la Loire notamment. En Suisse, les pluies incessantes et le froid très précoce avaient, dans plusieurs cantons, compromis, parfois anéanti les récoltes. Du canton de Glaris parvenaient des nouvelles alarmantes. On signalait de nombreux cas de dysenterie, dus au pain d’avoine, aux soupes d’orties et d’herbes des champs réputées comestibles. Dans le Valais, le blé, n’ayant pu mûrir normalement, avait donné peu de grain ; les châtaigniers du bas Valais semblaient frappés de stérilité ; les fruits étaient rares ainsi que les noix, récoltées d’habitude en grande quantité. Les rats et les taupes, eux aussi affamés, s’en prenaient aux pommes de terre et aux légumes des jardins, où ils causaient des dégâts sensibles, étant donné la médiocrité des productions. Le gel, survenant brutalement au commencement d’octobre, avait confit sur pied le raisin du vignoble valaisan. Les chutes de neige anticipées obligeaient les vachers et bergers à descendre leur troupeau des alpages avant la date prévue et l’on manquait de fourrage pour nourrir les bêtes, le regain ayant fait défaut après des fenaisons tardives.
     
    Les ursulines de Fribourg venaient de renvoyer, pour l’hiver, les pensionnaires dans leur famille, craignant de ne pouvoir assurer nourriture et chauffage. Blandine Métaz, rentrée à Vevey, expliquait à ses parents et à son frère que les poêles du pensionnat étaient restés allumés tout l’été à cause du froid humide et persistant, que la moisson n’avait commencé que le 18 août, pour le seigle, et fin septembre pour le froment. Elle racontait que les gens de Neuchâtel faisaient maintenant leur pain avec le son qu’ils venaient acheter sur les marchés de Fribourg.
     
    À Vevey, même Blanchod ne se souvenait pas d’avoir jamais vu un temps aussi détestable pendant une aussi longue durée. La pluie n’ayant pratiquement pas cessé de tomber de juin à la mi-août, les foins avaient pourri. Dès le 5 août, le vigneron avait été étonné de voir, dans les vignes les plus exposées au vent, le raisin encore sans fleur. Les quelques beaux jours de la fin du mois de septembre n’avaient pu compenser le manque d’ensoleillement de l’été et, le 12 novembre, une première gelée, alors que les vendanges étaient commencées de la veille, laissait mal augurer de la cueillette. Au matin du 17 novembre, quand les Métaz ouvrirent leurs volets, le mont Pèlerin et le vignoble étaient sous la neige.
     
    – C’est pas la peine de continuer la vendange, sûr que les grappes qui restent à Belle-Ombre sont gelées, dit Guillaume en levant un regard désolé vers la montagne, devenue blanche en une nuit.
     
    – Si, si, il faut y monter, crois-moi, le raisin est mûr là-haut. Il faut le cueillir ! Nous secouerons les ceps pour faire tomber la neige et nous vendangerons, tant bien que mal, en nous gelant les doigts. Mais, crois-moi, Guillaume, faut y aller, assura Blanchod, déjà équipé.
     
    – On va pas laisser le raisin de maman pourrir sous la neige. Je vais avec vous, parrain Simon, décida Axel, péremptoire.
     
    Guillaume Métaz, un peu étonné, découvrit ce matin-là que son fils pouvait réagir comme un homme de la terre, comme un vrai vigneron. Il en fut fier et réconforté, donna une grande tape sur l’épaule du garçon, maintenant aussi grand que lui, et fit atteler les deux chars de vendanges.
     
    – On y va ! dit simplement le maître aux journaliers, qui attendaient transis de froid dans la cour de Rive-Reine.
     
    La vendange, comme tout le monde s’y attendait, donna un mauvais vin, acide et

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