Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
dit-elle. Elle tint à faire halte à la sortie de Boulogne-sur-Mer, sur les lieux où Napoléon avait rassemblé l’armée qui devait envahir l’Angleterre, devant une colonne en marbre de Marquise, érigée en 1804, mais inachevée.
     
    – Ce monument, imaginé par le tyran, sera transformé pour commémorer le retour en France des Bourbons, souverains légitimes de ce pays, expliqua-t-elle, empressée et satisfaite.
     
    Chantenoz et Axel connaissaient la haine typiquement britannique et sans nuance que cette femme vouait à Napoléon I er . Ce sentiment avait contribué à la rendre supportable à Flora Baldini. Il motivait en partie la détestation de l’Anglaise pour lord Byron. Ce dernier avait osé écrire une Ode à la Légion d’honneur et des Adieux de Napoléon qui se terminaient par un appel à la France ingrate, jailli du cœur de l’exilé sous la plume du poète : « Dans la chaîne qui nous retient captifs, des anneaux peuvent se briser ; tourne-toi alors vers moi, et appelle le chef de ton choix. »
     
    Devant le trophée de la Grande Armée, détourné de son objet par les thuriféraires de Louis XVIII, Mrs. Moore donna libre cours à une rage que la déchéance de l’empereur n’atténuait pas.
     
    – C’est bien dommage que le tyran de l’Europe ne se soit pas lancé dans cette aventure, qui eût fixé son sort plus tôt et permis d’épargner beaucoup de vies humaines perdues dans dix années de guerre. Notre marine et nos vaillants soldats auraient envoyé les assaillants au fond de la Manche en un rien de temps. La Grande-Bretagne est une île imprenable, mes amis, et Sainte-Hélène une prison dont on ne peut sortir !
     
    – Croyez-vous, milady ? dit benoîtement Martin Chantenoz.
     
    – Je ne le crois pas, je le sais, monsieur. Le capitaine du Bellerophon , qui a transporté le tyran jusqu’à sa prison, M. Maitland, l’a dit.
     
    Chantenoz se tut par courtoisie, Axel parce qu’il ne voulait pas ouvrir de discussion en présence de tiers avec Eliza, Janet parce qu’elle ignorait qu’une menace eût jamais pesé sur l’Angleterre.
     
    Avant d’embarquer à Calais, sur le premier vapeur en service, le Rob Roy , jaugeant quatre-vingt-dix tonneaux et propulsé par une machine de trente chevaux, Mrs. Moore tint à s’enquérir de la situation d’un exilé anglais que sir Christopher connaissait bien : George Bryan Brummell. Cet ami du prince de Galles – dont la tenue, toujours si raffinée, paraissait parfois exagérément muscadine quand il portait un manteau rose et des boucles de chaussures de la dimension d’une assiette à dessert – avait longtemps donné le ton à toute l’aristocratie anglaise. Il avait dû traverser précipitamment la Manche, le 18 mai 1816, fuyant une meute de créanciers d’autant plus agressifs que le beau Brummell venait d’être abandonné par ses hauts protecteurs. Présentement, il habitait cependant le Dessein, le meilleur hôtel de la ville, où descendaient tous les Anglais fortunés. Mrs. Moore n’y passa que quelques minutes et ressortit rassurée.
     
    – Tout va bien pour notre maître dandy : il est reçu dans les meilleurs salons. Le duc de Wellington est venu dîner avec lui. Bien que ruiné et couvert de dettes, il ne semble pas manquer d’argent. Il voulait nous inviter tous à souper, mais j’ai décliné l’invitation. Notre steamer va partir. Nous serons à Douvres dans trois heures et demain à Londres, chez nous !
     
    – Et comment s’est ruiné ce gentleman ? demanda Axel.
     
    – Au jeu, mon cher garçon, au jeu ! Le jeu est le pire des vices, car il détruit tout : fortune, demeures, amitié, famille, amour. Restez toujours à l’écart des tapis verts, Axel, ce sont des linceuls !
     
    Pendant toute la traversée, Axel se tint sur le pont ou sur la passerelle. Il s’informa de la vitesse du bateau, du fonctionnement des chaudières qu’il visita, de la consommation de bois et de charbon, du coût d’exploitation d’un vapeur. Comme le capitaine s’étonnait qu’un adolescent suisse s’intéressât pareillement à son navire et prît des notes, Axel expliqua qu’un jour, peut-être pas très éloigné, son père commanderait à un constructeur un bateau dans ce genre pour naviguer sur le Léman.
     
    « On croirait vraiment que c’est le fils de son père », pensa Chantenoz en voyant son élève se renseigner avec autant de scrupule !
     
    Depuis quelques

Weitere Kostenlose Bücher