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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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certain qu’il a ses deux yeux, comme vous et moi…, et des yeux particuliers…, très particuliers, moi, je vous le dis !
     
    Un grand silence se fit sous la voûte et tous se tournèrent vers Blaise, qui lut sur les visages épanouis de ces paysans autant de sympathie que de curiosité.
     
    – Qu’il enlève son bandeau, vous verrez ! reprit Chantenoz avec autorité.
     
    Cette fois-ci, Guillaume se leva, vint derrière le perturbateur, le prit aux épaules et le força à s’asseoir.
     
    – Tiens-toi tranquille ou je t’envoie cuver dehors, dit-il, tu es ici chez moi et le général est mon hôte.
     
    – Ça, pour être ton hôte, il est ton hôte… et ce n’est pas la première fois !
     
    – Ne faites pas attention à ce qu’il dit. M. Chantenoz, ce soir, s’est laissé aller à boire plus que de raison, c’est tout, dit Axel à Blaise.
     
    Chantenoz fixait son élève, en conversation avec le général. Il ne put entendre les propos d’Axel, mais, le voir ainsi parler à voix basse à cet homme le mit dans une extrême agitation. Il se dressa, échappa à ceux qui tentaient de le retenir, fit avec une étonnante vélocité le tour de la grande table, arriva derrière Fontsalte et, sans que quiconque eût pu prévenir son geste, il lui arracha son bandeau.
     
    La stupeur se peignit sur tous les visages et, avant que Blaise, soudain dressé, les poings serrés, fût prêt à frapper le précepteur, ce dernier eut le temps de crier en tentant de parer le coup :
     
    – Regardez, regardez tous, vous voyez qu’il a ses deux yeux… Axel et Guillaume, vous, surtout, regardez-les, ses yeux, et…
     
    Chantenoz ne put en dire plus. On entendit un grand fracas de verre brisé. D’une gifle rageuse et violente, Blaise avait envoyé choir le précepteur dans les casiers à bouteilles.
     
    Quand il se retourna, dans un silence pesant, tous les buveurs le fixaient avec attention. Il ne chercha pas à fuir les regards.
     
    – Croyez que j’avais mes raisons de porter ce bandeau, dit-il en se tournant vers Axel, figé et silencieux.
     
    Guillaume Métaz réagit le premier, tandis que s’écroulaient encore quelques bouteilles. Il prit un des candélabres de fer forgé qui éclairaient la pièce et l’éleva devant le visage de Blaise, qui ne cilla pas.
     
    – Vous aviez vos raisons, en effet, de cacher cet œil si différent de l’autre ! dit-il rageusement.
     
    Une seconde avait suffi à Métaz pour reconnaître chez l’étranger le regard d’Axel. Le médecin de Lausanne n’avait-il pas dit, autrefois, que l’anomalie d’Axel pouvait être héréditaire ?
     
    Avec une violence contenue, Guillaume reposa le chandelier sur la table et tendit la main à son fils.
     
    – Allons, rentrons chez nous, dit-il d’une voix enrouée.
     
    Puis il se tourna vers Blaise, blême et immobile :
     
    » Je compte vous revoir seul à seul, ici, demain à midi, monsieur. Nous aurons à parler.
     
    Il se dirigea vers la porte et Axel le suivit.
     
    Quand les Métaz eurent quitté le caveau, les hommes se détournèrent, comme si tous voulaient ignorer l’incroyable scène dont ils venaient d’être témoins. La plupart d’entre eux, trop éloignés, n’avaient pu comparer, comme Guillaume, les yeux d’Axel à ceux de l’étranger. Tout en subodorant un drame domestique qui les dépassait et dont ils ne pouvaient imaginer la gravité, ils entendaient, en bons Vaudois qui ne se mêlent pas des affaires de famille des autres, se tenir à l’écart. Tandis que reprenaient, à voix basse, des conversations volontairement sans rapport avec l’incident, deux vignerons relevèrent Chantenoz, dont la lèvre saignait. Blaise de Fontsalte quitta la salle sans qu’on lui eût accordé ni regard ni salut.
     
    Seul Blanchod, qui devinait la portée du geste de Chantenoz, murmura assez fort pour être entendu du général, au moment où il franchissait le seuil :
     
    – Chantenoz, cet imbécile, a fait tomber, ce soir, plus qu’un bandeau !
     
    Blaise se retourna vers le vieil homme et le prit fermement aux épaules.
     
    – Dites à cet ivrogne, si c’est un de vos amis, que j’attendrai qu’il soit dessoulé pour le tuer !
     

    Quand Guillaume arriva chez lui, sa femme n’était pas rentrée de la réception chez le syndic. Il décida immédiatement de l’envoyer chercher par Polline. Prévenue par cette dernière que M. Métaz avait « sa figure des mauvais

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