Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
montagne et élargir la voie.
     
    L’obscurité n’existe pas en altitude. Bien qu’aucune clarté n’eût encore percé les nuages, la neige, comme éclairée par en dessous d’une vague lueur, la blancheur des derniers flocons tombés, permit bientôt à Blaise de distinguer les silhouettes de ceux qui, s’étant mis en route plus tôt que lui, allaient devant. Le guide qui tirait le cheval de somme se retournait souvent vers Fontsalte pour le mettre en garde : « Serrez contre le rocher, capitaine », ou : « Attention, suivez bien mes traces, il y a sous nos pieds une dalle de granit verglacée. » Et Blaise, entendant un bruit d’eau cascadante, se disait qu’il venait de franchir une fois de plus, sans l’avoir vu, le torrent Valsorey, dont le guide avait affirmé qu’il prenait sa source tout près du couvent.
     
    Quand la progression parut plus facile, le guide annonça la plaine de Proz et fit halte près d’une cabane, où les muletiers surpris par une tourmente pouvaient s’abriter. Les montagnes, dont on commençait à distinguer les masses sombres, semblaient s’être écartées de part et d’autre d’un plateau pentu.
     
    – Nous avons fait le plus pénible, le plus dangereux, n’est-ce pas ? risqua Fontsalte, se souvenant des propos des lieutenants helvètes.
     
    – C’est ce que croient les gens quand ils arrivent sur ce faux plat. Mais vous allez voir qu’après cinq ou six détours dans la gorge nous allons entrer sur des champs de neige en tournant autour de monticules qui n’ont rien d’effrayant. Cependant, c’est là le vrai danger. Il y a un sentier là-dessous, qu’on ne voit que l’été venu, dit l’homme en frappant la neige durcie du talon. Mais, en cette saison, chaque chute de neige recouvre tout et celui qui n’a pas ses repères ne peut plus se diriger, acheva-t-il.
     
    – On peut donc tomber dans un précipice, fit Trévotte, peu rassuré.
     
    – Il n’y a pas de précipice par ici, seulement de grands creux, avec des épaisseurs de trente ou quarante-cinq pieds de neige. Celui qui tombe là-dedans est sûr d’y rester. Sauf si les chiens des chanoines le retrouvent avant qu’il soit étouffé ou transformé en statue de glace. Les chanoines en ont plein leur morgue, de ces imprudents.
     
    Après cet avertissement, prononcé d’une voix tranquille, au débit lent et fortement teinté d’accent valaisan, la petite caravane se remit en route. Les chevaux, comme les hommes, semblaient avoir du mal à trouver leur souffle et, de temps à autre, le guide lançait un nom en désignant le lieu où l’on passait et qui ne se distinguait en rien du reste du paysage : le pont de Prou, le pont de Nudri, ou une direction sur la neige : la montagne de Pierre, la combe des Morts, les Tronchettes.
     
    Le givre raidissait la moustache et les favoris de Blaise, lui tendait la peau. Au départ, il avait troqué son colback, suspendu à la selle de Yorick, contre un simple bonnet de police, dont les bords rabattus protégeaient les oreilles du froid. Trévotte, encapuchonné comme un moine dans une couverture de cheval, présentait à chaque arrêt une gourde et les trois hommes buvaient, à tour de rôle, une gorgée d’eau-de-vie.
     
    Trois heures plus tard, l’aube blafarde acheva de diluer dans une blancheur pesante la brume qui masquait les montagnes et les étendues neigeuses. Le chemin s’élargit, devint presque plat. Ils découvrirent bientôt, dans la clarté dorée du soleil levant brusquement projetée au-dessus des cimes vers un ciel soudain limpide et bleu, les bâtiments gris de l’hospice, au bord d’un lac minuscule et gelé.
     
    Devant cette bâtisse, perdue dans un univers de pierre, de neige et de lumière, la silhouette massive, trapue et rassurante du couvent révélait, au premier regard, la foi des bâtisseurs de cette arche et l’obstination de ceux qui avaient choisi d’y vivre.
     
    Blaise de Fontsalte se laissa distancer par ses compagnons, qui allaient maintenant côte à côte en bavardant. Les chevaux, auxquels leur instinct annonçait l’étape, chauvissaient des oreilles et pressaient le pas.
     
    L’officier s’arrêta pour jouir de cet instant de paix, du silence, de l’azur du ciel que raya, inattendu, un vol de perdrix blanches. Ici était peut-être la vraie vie, celle de l’esprit, de l’impassibilité, un lieu où l’âme pouvait acquérir cette immobilité de l’essieu de la roue qui tourne,

Weitere Kostenlose Bücher