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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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dormir ! » et se hâta de rejoindre la grange, garnie de bottes de paille, que l’hôtelier réservait aux ordonnances des officiers.
     
    En entrant à l’auberge, Fontsalte vit que le cartel indiquait onze heures passées. Au contraire de Titus, il n’avait pas sommeil. Deux lieutenants de la légion helvétique, qui, depuis plusieurs mois, gardait les accès du haut Valais, lui firent place près de l’âtre où achevaient de se consumer de grosses bûches. Comme eux, il bourra sa pipe, accepta un verre d’eau-de-vie et entra dans la conversation. En apprenant que Blaise allait passer en Italie, les officiers, qui connaissaient le parcours, l’assurèrent que, des trois lieues et demie qui séparaient Saint-Pierre de l’hospice du Grand-Saint-Bernard, une seule était franchement mauvaise et qu’il ne fallait redouter qu’une chute dans la ravine où coulait le Valsorey. De montagne, on en vint à parler guerre et blessures, puis, comme toujours quand des hommes jeunes et sans attaches se trouvent réunis autour d’un feu et d’une bouteille, alors que les bouffardes tirent bien, on se mit à parler femmes.
     
    Les Suisses évoquèrent l’air hautain et compassé des Genevoises, qu’il fallait « amadouer par friandises et flatteries », le charme des fortes paysannes du pays d’En-Haut, « tendres comme du bon pain » au dire de l’un d’eux, les faux abandons des vigneronnes de Lavaux, « plus promptes à donner un soufflet qu’un baiser ».
     
    – Les filles des bords du Léman et celles du Valais ont vu passer trop de militaires, depuis deux ans. Elles se méfient du soldat et encore plus de l’officier. Ils ont fait trop de promesses, grugé trop de paysans et laissé trop d’enfants sans nom, observa le premier lieutenant.
     
    Blaise confessa qu’il n’avait approché qu’une jolie bourgeoise veveysanne, et ce en tout bien tout honneur, alors que le mari était absent. Les jeunes gens s’étonnèrent en riant qu’un si bel homme n’eût pas mieux exploité son billet de logement, sauf-conduit des amours furtives.
     
    – Vous avez raison, messieurs, reconnut Fontsalte. J’aurais dû pousser mon avantage. Je le regrette d’autant plus, ce soir, que le sort des armes ne me laissera peut-être pas d’autre occasion de tenir une jolie femme dans mes bras. Je puis mourir demain… ou après-demain. La belle Veveysanne eût été la dernière honorée. Elle eût pu en tirer gloire ! conclut-il en riant.
     
    – Les femmes sont oublieuses, autant des absents que des morts, capitaine. C’est pourquoi il vous faut rester en vie jusqu’à la revoir.
     
    – Jusqu’à Milan en tout cas. Je l’ai promis à mon colonel, qui a ses entrées dans les coulisses de la Scala !
     
    – Ah ! les comédiennes ! soupirèrent les Helvètes en levant la séance.
     

    À l’heure dite, Blaise de Fontsalte et le maréchal des logis Trévotte, emmitouflés dans leurs manteaux de cavalerie, retrouvèrent leur guide devant l’église. Le muletier s’étonna à la vue de trois chevaux.
     
    – Tu auras vingt-cinq batz de plus, si mon porte-bagages arrive sain et sauf à l’hospice, dit le capitaine.
     
    Cet argument suffit à faire admettre au garçon qu’un cheval de plus ou de moins ne changeait rien à la course.
     
    – Le capitaine ne voyage jamais sans son argenterie, son habit brodé, son écritoire et ses livres, souffla Trévotte au Valaisan qui, impressionné, se mit en route sans tergiverser.
     
    Comme prévu, au bout d’une demi-heure de marche sur un étroit sentier taillé à même le roc, où depuis le 12 mai plus de quarante mille hommes, cinq mille chevaux, cinquante canons et une douzaine d’obusiers étaient passés en file indienne, la petite troupe rencontra la neige 18 . Si le trajet de Martigny à Saint-Pierre avait été parfois pénible, parfois plaisant, la dernière montée sur un sentier muletier, côtoyant des précipices que la nuit rendait insondables, avait de quoi impressionner les plus braves. Bien qu’il n’eût souvent que de trois à six pieds de large, le chemin n’était pas désert. Des soldats et des paysans, requis ou volontaires, grimpaient, ployant sous des charges ou conduisant des mulets rétifs, dont le souffle ressemblait à un râle. Des soldats transportaient des planches destinées à renforcer quelque pont branlant, d’autres ramassaient les pics et pioches qui avaient servi aux sapeurs du génie à rogner la

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