Hergé écrivain
qu’elle
contraste avec la place toujours grandissante du professeur dans les albums à venir, comme avec le sort fait aux
personnages aussi vite adoptés que relégués à l’arrière-plan
qui tiennent le rôle de savant dans les livres précédant Le
Trésor de Rackham le Rouge .
En fait, il s’avère vite que cette lenteur du professeur à
s’introduire dans le monde de Tintin n’est qu’apparente et
qu’au contraire tout est mis en place, dès les premières
planches de l’album (dont Tournesol est absent), pour
recevoir le nouvel arrivant de la série. L’on tentera ici de
lire les signes qui l’annoncent, et cela à partir justement
des mots dans l’image.
En pleins préparatifs du départ pour l’île de son
ancêtre, le capitaine découvre dans le journal que l’affaire
a déjà été ébruitée, il ne sait trop comment. Stupéfait, il
se perd dans la lecture de la gazette, puis se heurte à une
colonne publicitaire qui illustre ce qui vient de se passer :
L’incident, un jeu de mots l’explicite : les informations
sont vraiment frappantes . Or, loin de la clore, ce calembour offre l’occasion de relire la scène, il peut la faire
remonter avec une attention accrue aux accidents de la
lettre. Car pour banale que soit la figure (en termes rhétoriques, il s’agit d’une syllepse ou rencontre du sens propre
et du sens figuré d’un mot), sa fonction est de taille. Le
double sens de frapper est un des éléments qui font essayer
une relecture du message publicitaire dans ce qu’il a de
double. L’injonction passe d’autant mieux que les signes
de cette duplicité ne sont pas rares. Signes linguistiques,
d’abord : la métathèse, très reconnaissable, de Tino Rossi
en Rino Tossi. Signes iconiques surtout, tel le remarquable « aplatissement » de la colonne. Soucieux d’exploiter la bidimensionnalité de la bande dessinée, Hergé
arrive à adapter ce référent circulaire aux propriétés de
son lieu d’accueil et transforme la colonne à trois dimensions en une sorte de feuille dotée d’un recto et d’un
verso. Par un habile effet de champ-contrechamp, le
dessin empêche le capitaine de voir l’autre côté de la
colonne, qui n’est visible qu’au seul lecteur alors que ce
dernier n’a pas accès aux pages internes du journal dans
lesquelles le capitaine est plongé. Ce parallélisme est
important, parce qu’il permet de postuler l’existence
d’une symétrie comparable en aval : de même que le lecteur ne tardera pas à pouvoir parcourir l’intérieur du
journal, de même le capitaine ne manquera pas d’avoir
connaissance du verso de la colonne. Mais le savoir du
capitaine sera plus indirect que celui du lecteur. Au lieu
de se voir présenter un écrit, c’est à un personnage qu’il
aura affaire : Tournesol. Or, ainsi qu’on le verra, le verso
de la colonne et le nouveau venu constituent en fait,
pour prolonger la métaphore, les deux côtés de la même
médaille, dans la mesure où il s’avérera possible de
décrypter les écrits de la colonne comme un portrait-robot langagier de Tournesol.
Voici (et qui concerne, il n’est pas inutile de l’exhausser,
la sphère privée : affaires de noms, questions de famille),
la face cachée de la publicité :
— en haut : Opéra, Rino Tossi dans Boris Godounov
— en bas, à gauche : Théâtre des Galeries, Sacha Guitry
(x3), MOI
— en bas, à droite : Vari(é), La ri(…)
À un niveau très général, l’isotopie du monde du spectacle peut être perçue, non pas seulement comme un effet
de réel, mais comme la manifestation à hauteur thématique de ce double dont les bases, on l’a vu, sont matérielles (l’envers et l’endroit du support). L’affichage du
théâtre renvoie aux propriétés formelles de la pratique qui
l’engendre. C’est dire déjà à quel point Tournesol devra
être considéré comme un être de papier, bricolé à partir
d’indications et de souvenirs internes à l’œuvre dont le
réseau ira se resserrant.
Dans ce jeu de l’être et du paraître, du spectacle et de
ses noms, s’établit une série de dissonances qui, inscrivant
une énigme, font entrevoir un vide, comme si l’ensemble
des affiches n’était que le paraître d’un être dont manquerait aussi le nom . Cette énigme est mise en place par deux
facteurs qui se renforcent l’un l’autre.
Le premier est la tension entre le nom de l’acteur et le
nom du personnage qu’il joue. Inhérent au
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