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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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de
récit à l’économie du récit hergéen tout entier, qu’il relève
ou non du découpage feuilletonesque.
    On insiste souvent, dans l’analyse du feuilleton hergéen, sur l’effet de clôture et de relance qui émane de
l’organisation de la planche, plus particulièrement d’un
travail systématique sur la dernière vignette de chaque
planche ; mais bien entendu l’effort du feuilletoniste ne se
limite pas à cela. En effet, pas moins de quatre types
d’opérations s’ajoutent à cette attention accordée à la
« clausule ». Je les énumère ici rapidement :
    a) De même qu’il faut s’occuper de la fin de chaque
planche, de même il faut s’occuper également du début,
qui doit non moins que la clausule qui précède disposer
d’un puissant coefficient de relance. Il faut en d’autres
termes que chaque début de planche, pour bien fonctionner dans l’économie du feuilleton, s’institue à la fois
en digest et en incipit , opération sans doute moins lisible
que la transformation de chaque fin de planche en
clausule mais incontestablement tout aussi essentielle (le
résumé qui est parfois donné suffit peut-être au niveau du
récit proprement dit, mais ne peut guère à lui seul assurer
la relance visuelle de la narration).
    b) De même qu’il faut s’occuper du début et de la fin
de chaque planche, de même il faut s’occuper du début et
de la fin de chaque strip , où l’effet de clôture et de relance
doit se disséminer sous peine de créer un rapport inorganique, déséquilibré, entre l’unité matérielle de lecture
qu’est le strip et la portion idéelle du récit que cette unité
accueille. Il ne serait pas logique d’attacher tant de prix à
la manière dont commencent et se terminent les planches,si par ailleurs on ne travaillait de manière aussi attentive
les lieux stratégiques que sont le début et la fin de chaque
strip. Dans le cas d’Hergé, qui surveille de fort près les
cases de gauche et de droite de ses strips, on pourrait
objecter que cette extension du feuilleton de l’unité de la
planche à celle du strip est due seulement à des raisons
génétiques, certaines aventures de Tintin ayant paru
d’abord sous forme de strips quotidiens (je pense évidemment au Secret de La Licorne , entre autres). Cette explication me paraît trop anecdotique : il est plus fructueux de
faire l’hypothèse que le travail sur le strip, qui survit à la
disparition des strips quotidiens, reflète au contraire une
prise de conscience très aiguë chez Hergé des modalités de
lecture induites par le langage même de la bande dessinée,
lequel ne procède pas uniquement par l’assemblage de
vignettes en planches, mais s’appuie également sur le
niveau intermédiaire du strip.
    c) De même qu’il faut s’occuper de chaque début et de
chaque fin, de même il faut s’occuper de chaque volet central, qu’il s’agisse du milieu de la page ou du milieu des
divers strips. Le feuilletoniste doit tout faire en effet pour
que ces diverses occurrences du milieu (niveau matériel)
coïncident avec des temps moins forts (niveau idéel). Il
doit travailler ces zones-là presque en creux, de façon à
éviter que le volet central ne ressorte trop, ce qui empêcherait du coup d’inscrire à gauche et à droite les
moments de plus grande force sans lesquels le mécanisme
de reprise et de relance ne tourne court.
    d) De même qu’il faut multiplier les divers effets de
feuilleton que je viens de détailler, de même il faut veiller
aussi à les mettre soigneusement en sourdine, en vue de la
bonne liaison de l’ensemble. Un récit trop segmenté
risque toujours de dégénérer en une simple suite de cellules autonomes, à l’enchaînement mécanique très vitelassant, ce qui est évidemment inacceptable du moment
que l’on travaille aussi, comme c’était le cas pour Hergé,
dans la perspective de l’album (le feuilleton hergéen n’est
pas du tout celui des soaps, dont l’économie narrative
échappe totalement à l’emprise du récit traditionnel,
comme l’a bien démontré l’étude de Gripsrud sur Dynasty 5 ). Pareille mise en sourdine consiste, si l’on veut,
à transformer chaque planche, à l’exception de la première et de la dernière de l’album, en une sorte de
« milieu », en un volet central destiné à faire ressortir
l’effet de reprise qui la précède et l’effet de relance qui la
suit, et à faire de n’importe quel élément du récit

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