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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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discontinuité du feuilleton, mais sans qu’il le
brise radicalement. Il aide à couler le récit dans le moule
du feuilleton, sans empêcher par la suite la réintégration,
à un niveau supérieur de la diégèse, des cellules à lacouche générale du récit. On pourrait dire que narratif et
non-narratif se révèlent ainsi foncièrement solidaires,
mais, en tout cas chez Hergé, solidaires au sein d’un projet
qui reste globalement narratif. Ce n’est pas chez lui le récit
qui se met au service du non-narratif, mais l’inverse, du
moins majoritairement.
    Toutes proportions gardées, on observe ainsi un phénomène qui rappelle les rapports indissociables entre
moments forts (début et fin) et moments faibles (milieu).
Pour que le récit puisse fonctionner, il s’appuie nécessairement sur du non-récit, et l’analyse du feuilleton, qui
passe souvent pour un récit superlatif, montre bien à quel
point il est difficile de faire le partage fonctionnel des
deux régimes. Et de cette observation, on peut déduire
non moins que l’aspect fondamental du feuilleton, et
peut-être du récit hergéen en général, est moins l’histoire
racontée que le rythme narratif : « cela raconte » ; cela
raconte de manière presque intransitive mais à un rythme
toujours rapide, et à un rythme fait de secousses, c’est-à-dire d’arrêts et de relances continuels qui s’enchaînent à la
vitesse des diverses unités de lecture que l’auteur a à sa disposition (strip, planche, double page, album), la dynamique du récit devenant plus importante que le contenu
du récit proprement dit. Je ne crois donc pas forcer l’analyse en laissant entendre que L’Affaire Tournesol , et peut-être, de nouveau, l’économie globale de tout récit hergéen, tient autant du romanesque que du roman , pour
reprendre la belle expression de Roland Barthes dans Le Plaisir du texte  : cela raconte, et au fond ce qui est
raconté n’a guère d’importance 7 . Si Hergé demeure lisible , c’est qu’il y a chez lui, par moments, quelque chose
de l’ordre du scriptible…
    b) Mais L’Affaire Tournesol n’affiche pas uniquement
l’inclusion du non-narratif dans le narratif, puis la
déconstruction (prudente, bien entendu) de celui-ci.
L’album exploite non moins une deuxième technique, ou
plutôt une deuxième dimension, elle aussi capitale si l’on
veut comprendre les enjeux du feuilleton. Ce deuxième
aspect concerne les rapports entre les deux zones de
l’album, celles à tension faible (au milieu), celles à tension
plus élevée (au début et à la fin). Comme je l’ai suggéré,
le feuilleton ne doit pas uniquement s’efforcer d’ajouter
des moments forts à une trame narrative de fond qui elle
resterait neutre, mais aussi et surtout de tenir reléguée au
deuxième plan cette toile de fond qui risque à tout
moment, vu l’exiguïté des unités hebdomadaires investies
par le feuilletoniste, de s’imposer au détriment des cellules
initiales et clausulaires. Le refoulement du récit est donc
tout aussi indispensable au bon déroulement de la narration que la mise en avant des moments de rupture et de
relance.
    À cet égard, L’Affaire Tournesol fournit l’occasion de se
pencher sur une péripétie éditoriale qui, une fois encore,
n’a rien d’anecdotique. L’on sait en effet que vers les
deux tiers de la prépublication en revue, le format du
récit a été changé de façon assez radicale : au lieu
d’occuper une seule page, le récit en est venu tout à coup
à s’étaler sur une double page (celle au beau milieu du Journal Tintin ), d’abord sur quatre strips, puis sur trois
seulement. Ce qui compte ici, n’est pas la manière dont
ces doubles pages ont été remontées ensuite en fonction
des caractéristiques de l’album (qui ont amené les Studios Hergé à ramener chaque double page à une seule
planche, après les avoir conduits, pour des raisons qui
n’ont ici guère d’importance, à « gonfler » les planchesuniques en doubles pages), mais la manière dont ce type
d’opérations exhibe l’importance stratégique de cette
zone appelée intermédiaire (la zone du milieu, soit ni au
début, ni à la fin). En effet, les désarticulations et réarticulations successives auxquelles les collaborateurs d’Hergé
ont dû se livrer supposent, pour que le matériau narratif
puisse se laisser traiter effectivement de la sorte, qu’on
avait déjà ménagé une zone tampon non pas

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