Herge fils de Tintin
derrière la maison de l’avenue
Delleur, dans une attitude d’une évidente complicité. Pour plus de
détail, je me permets de renvoyer au chapitre « Hergé, de la solitude
aux Studios » du livre de Michel Lafon et Benoît Peeters, Nous est un
autre, enquête sur les duos d’écrivains , Flammarion, 2006.
12 Lettre d’Hergé à Charles Lesne, 11 mai 1944.
13 Les 7 Boules de cristal , p. 32.
14 Lettre d’Hergé à Charles Lesne, 19 juin 1944.
Chapitre 5
I NTERMITTENCES
(1944-1953)
1
La gueule de bois
« Vite, venez avec moi, vous redirez tout cela à la
police ! » Ce fut la dernière phrase que prononça Tintin
en entraînant le général Alcazar, et la dernière réplique
d’Hergé dans Le Soir . Il ne s’attendait pas à être si rapidement pris au mot.
Pour l’heure, Hergé craint surtout de se faire
agresser, car son nom, sa photographie et son adresse
sont reproduits dans une petite brochure intitulée
« Galerie des traîtres ». Il est même le seul à y figurer
deux fois : d’abord comme Hergé, puis comme
Georges Remi. La première notice est la plus
complète ; on y dit notamment qu’il « s’est empressé
d’offrir ses services à De Becker » et que « selon certains renseignements obtenus, [il] serait rexiste, mais
nous n’avons pu obtenir confirmation ». La seconde
mention est digne des Dupond-Dupont : « Rédacteur
au Soir de guerre. Impossible d’obtenir des renseignements sur cet individu. Tout ce que nous avons appris,
c’est qu’il doit être surveillé de près. » La brochure n’a
pourtant rien de comique, car elle appelle quasiment
au lynchage : « Le crime de ces gens est connu etprouvé. Le châtiment que nous réclamerons pour eux
sera impitoyable 1 ! »
Dès le soir du 3 septembre, vers minuit, des justiciers
improvisés veulent arrêter ce Georges Remi dont ils
savent peu de chose ; ils se présentent à sa porte, mais
repartent rapidement. Le 7, le dessinateur est interrogé,
puis remis en liberté. Deux jours plus tard, la Sûreté de
l’État perquisitionne chez lui, sans rien trouver de compromettant, avant de l’emmener à la division centrale de
la police de Bruxelles, surnommée l’Amigo, comme
l’hôtel situé juste en face. Hergé y croise Robert Poulet et
échange avec lui « un sourire vaillant de rigueur 2 ». Il ne
passe qu’une seule nuit en prison, avec une dizaine
d’autres proscrits, dont Paul Herten, le directeur du Nouveau Journal , qui sera fusillé peu après.
Comme Hergé le raconte à Norbert Wallez, qui a lui-même son lot d’ennuis :
Après avoir été interrogé, j’ai été remis en liberté ; le lendemain on est venu m’arrêter, la PJ cette fois. Interrogé. Relâché.
Trois jours plus tard, les MNB, mitraillette au poing, ont cerné
la maison. Interrogé, relâché. Deux jours après, les FFI ont fait
irruption. Interrogé, relâché. Depuis lors, plus rien. Comme il
y a en ce moment une bonne douzaine d’organisations semblables, je croyais qu’ils allaient venir à tour de rôle m’arrêter,
mais non, cela s’est arrêté comme ça, sans raison apparente, et
depuis lors on m’a laissé, moralement s’entend, en paix. Je travaille comme d’habitude, et je m’isole de plus en plus, aidé par
Germaine, cette compagne admirable dont le courage, la lucidité et la noblesse ont été pour moi un réel soutien au milieu
de toutes ces vilenies 3 .
Pendant ce temps, les propriétaires légitimes ont repris
possession de leurs journaux et promulgué des mesures à
l’encontre des collaborateurs. Dès le 7 septembre, sont
exposées les décisions du Haut commandement interallié : toute personne « qui a prêté son concours à la rédaction d’un journal pendant l’Occupation, quelle que soit la
rubrique à laquelle il ait été affecté, se voit momentanément interdire l’exercice de sa profession. Les reporters-photographes sont l’objet de la même mesure 4 ».
Du fait de la notoriété d’Hergé, son cas est l’objet d’une
publicité bien malvenue. Dans une petite feuille résistante
paraît une parodie médiocrement dessinée, « Les Aventures de Tintin et Milou au pays des nazis (à la manière de
M. Hergé, indisponible pour cause de Libération) ».
« Capitaine, enfin libérés ! Hergé a levé le pied », déclare
Tintin dès la première case. « Hergé est un marin d’eau
douce, un bachi-bouzouk, un canaque. Au
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