Herge fils de Tintin

plusieurs semaines.
    Hergé étant heureusement rétabli, nous retrouverons très
prochainement dans les colonnes du Soir les amusantes illustrations que constituent les nouvelles aventures de Tintin.
    Le 7 juillet, Tintin réapparaît enfin. Mais le strip n’est
consacré qu’au résumé de « cette ténébreuse histoire ».
Puis, dans la villa du professeur Bergamotte, les personnages commencent à vivre une nuit effrayante. « Les
orages, dans la région, sont souvent très violents »,
explique l’américaniste. La foudre pénètre dans le salon,
libérant la momie de Rascar Capac. Jusqu’alors si serein,
Bergamotte cède à la panique. Car l’effroyable événement
était évoqué dans son rapport sur les sciences occultes de
l’ancien Pérou : « Le jour où, dans un éclair éblouissant,
Rascar Capac aura déchaîné sur lui-même le feu purificateur et sera retourné à son élément primitif, ce jour-là
sonnera pour les impies l’heure du châtiment 13 . »
    Le châtiment, une fois encore… Dans L’Étoile mystérieuse , il en était déjà question. Hergé utilise décidément Les Aventures de Tintin presque comme un journal intime.
À Bruxelles, pendant ce temps, la fin de l’Occupation
s’annonce imminente. Le roi Léopold III et les princes
sont transférés en Allemagne, dans un château proche de
Dresde, et les collaborateurs les plus compromis quittent
précipitamment la Belgique. Quant à Hergé, de plus en
plus désemparé, il fait un pèlerinage aux sources : avec
Germaine, il part à Aulne rendre visite à l’abbé Wallez, au
mois d’août 1944. Lorsqu’ils se disent au revoir sur le
pont, ils sentent tous les trois que les prochaines semaines
ne leur vaudront rien de bon.
    « Tu connais sans doute la formule : Seigneur, libérez-nous de nos Protecteurs et protégez-nous de nos Libérateurs 14  », écrivait Hergé à Charles Lesne au lendemain
du débarquement allié. Il ne croyait pas si bien dire. Le
2 septembre 1944, l’ex-général Alcazar explique à Tintin
la véritable identité de l’Indien Chiquito. C’est la dernière
chose que les lecteurs du Soir « volé » connaîtront de
cette histoire. Anxieusement, Hergé attend la suite d’un
tout autre feuilleton, qui le concerne de plus près.
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    1  Alain Colignon, « La collaboration francophone : autopsie post-mortem », in José Gotovitch et Chantal Kesteloot, Collaboration,
répression, un passé qui résiste , Labor, 2002, p. 31.
    2  Jacques Van Melkebeke, « Notes sur mon activité pendant
l’Occupation », 1945, inédit.
    3  C’est à peu près au même moment que Henry Bauchau, chef du
Service des volontaires du travail en Wallonie, va passer à la Résistance.
Après la guerre, il restera toutefois amicalement fidèle à Raymond
De Becker, ce qui lui sera vivement reproché ( cf. Myriam Watthee-Delmotte, Bauchau avant Bauchau , Louvain-la-Neuve, Academia
Bruylant, 2001).
    4  Henri Roanne, entretien inédit avec Hergé, 1974.
    5  Témoignage d’Étienne Pollet à l’auteur, février 2002. Selon
Étienne Pollet, son petit-fils, le souci principal de Louis Casterman
durant le conflit fut de ne pas prêter le flanc aux critiques, quand
surviendrait la Libération. Il fut d’ailleurs officiellement remercié par le
conseil communal lors d’une séance d’hommage, peu après la fin de la
guerre, et une médaille à son effigie fut frappée à cette occasion. Louis
Casterman redevint du reste bourgmestre de Tournai, dix ans plus tard.
    6  Lettre de Charles Lesne à Hergé, 1 er septembre 1943. C’est
Charles Lesne qui souligne.
    7  Lettre d’Hergé à Charles Lesne, 6 septembre 1943.
    8  « L’anniversaire du Soir clandestin » in Le Soir , 11 novembre
1944. Cité par Huibrecht Van Opstal, Tracé RG, le phénomène Hergé ,
Claude Lefrancq éditeur, 1998, p. 90.
    9  Selon la secrétaire de rédaction de Bravo ! , Yvonne Venneman, le
directeur artistique de l’hebdomadaire aurait tenté dès cette époque de
s’assurer la collaboration d’Hergé.
    10  Lettre d’Hergé à Edgar Jacobs, 30 décembre 1943.
    11  Benoît Peeters, « Deux copains dans l’après-guerre, entretien avec
Edgar Jacobs », in À suivre spécial Hergé , avril 1983, p. 64. Plus encore
que Hergé, Jacobs eut tendance à passer sous silence ou à minimiser le
rôle de « l’ami Jacques » dans l’élaboration des scénarios. Une photo de
1944 montre pourtant les trois hommes,