Herge fils de Tintin
lancé
parallèlement dans une autre affaire. En mai 1945, il a
entendu parler d’un dragueur de gravier abandonné pendant la guerre : moyennant un peu d’argent, il pourrait
facilement être renfloué. Leblanc fait remettre le bateau
en état et lui fait reprendre du service sur la Meuse. Les
cailloux extraits par le dragueur se déversent rapidement
dans les navires, et l’argent afflue tout aussi vite. En moins
d’un an, Leblanc a sérieusement augmenté son capital 18 .
La première idée d’un hebdomadaire pour la jeunesse
ne vient pas de lui, mais de son associé André Sinave.
Leblanc et Debaty sont loin d’être immédiatement
convaincus, tant il y a pléthore de revues enfantines :
toutes ne pourront survivre. Une vingtaine de publications se disputent le marché. Mais Sinave dispose d’un
argument de poids : par l’intermédiaire de son ami Pierre
Ugeux, il peut accéder à Hergé. Si l’hebdomadaire s’appelait Tintin , pense-t-il, son succès serait assuré. Raymond
Leblanc est enthousiaste : dans sa jeunesse, il lisait Le Petit
Vingtième ; il reste plein d’admiration pour les albums
d’Hergé.
C’est avec un sentiment mitigé que le dessinateur
accueille d’abord la proposition du trio. Séduit par l’idée
de voir un hebdomadaire porter le nom de son héros, il ne
cache pas ses doutes sur la possibilité de le faire paraître.Comme le raconta Leblanc : « Hergé semblait surtout
préoccupé par l’accueil que les autorités politiques réserveraient à cette publication. Il faut dire que d’autres que
nous avaient songé naguère à une telle réalisation et qu’ils
y avaient renoncé 19 . »
Leblanc sait se montrer convaincant. Il a tôt fait de
persuader Hergé qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Il n’y a
pas deux Tintin en Belgique : sans le héros créé par
Hergé en 1929, le lancement de l’hebdomadaire auquel
il songe serait plus qu’incertain. Mais l’échange n’est pas
inégal : résistant insoupçonnable, Leblanc se fait fort de
sortir le dessinateur du mauvais pas où il s’est fourré
pendant la guerre. Hergé sait qu’il doit obtenir le
fameux « certificat de civisme », sans lequel rien n’est
possible : même pour circuler en tram ou pour rouler à
vélo, ce document est alors indispensable. Il est délivré
par le bourgmestre de la commune ou le commissaire de
police : les critères sont assez flous, les relations jouent
beaucoup.
Raymond Leblanc promet de s’activer et de faire jouer
ses contacts les mieux placés. William Ugeux, le frère de
Pierre, a été une figure majeure de la Résistance londonienne ; à son retour en Belgique, il a pris la tête du Service national d’information qui dépend directement du
Premier ministre. Il a bien connu Hergé avant la guerre, à
l’époque où il dirigeait Le Vingtième Siècle . Pour ce qui est
de son attitude sous l’Occupation, il considère le dessinateur comme « un maladroit plutôt qu’un traître », « uncandide sur le plan politique 20 ». Mais il veut en avoir le
cœur net et demande à consulter son dossier.
Au sein des tribunaux, c’est l’indulgence qui semble
prévaloir vis-à-vis d’Hergé. Dès le 8 mars 1945, l’auditeur
militaire Vinçotte écrit à l’auditeur général Walter
Ganshof van der Meersch qu’il « incline à ne pas exercer
de poursuites » contre l’auteur des Aventures de Tintin :
J’estime que cela serait de nature à ridiculiser la justice que
de s’en prendre à l’auteur d’inoffensifs dessins pour enfants.
Cependant, une expertise a été instituée. En cause : Le Soir .
Et comme on admet actuellement en principe qu’il y a lieu
de poursuivre ceux qui ont travaillé à la presse collaborationniste, même si leur apport personnel ne constitue pas de la
propagande… On me fait remarquer de tous côtés que
Remi, par ses dessins, est un de ceux qui ont le plus fait
acheter Le Soir sous l’Occupation. Comme je vais être obligé
de poursuivre des chroniqueurs littéraires, sportifs, etc., dont
les écrits personnels ne sont pourtant pas sujets à critique, on
pourra me dire que Hergé a autant et plus qu’eux contribué
à agrémenter et à diffuser le journal 21 .
Le problème est parfaitement posé, sans haine ni indulgence particulière, mais il est clair que l’auditeur militaire
n’a pas été y voir de très près dans les « inoffensifs dessins
pour enfants », et notamment dans L’Étoile mystérieuse
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