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Herge fils de Tintin

Herge fils de Tintin

Titel: Herge fils de Tintin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoit Peeters
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marchands de canons, les grands trusts sacrifiant sans remords la
vie des hommes. Aux prises avec eux, un héros sans peur et
sans reproche. Droit et pur. Et il n’est pas dupe, et de plus, il
triomphe. Et le succès est venu de là, de ce que les gosses, et
même les grandes personnes, ce qu’il y a de meilleur dans les
gosses et les grandes personnes, […] se reconnaissaient dans
le héros, se cherchaient dans le héros.
    Maintenant, pense-t-il, ce goût de l’aventure et du
risque lui est devenu étranger. Il cite Montherlant et son Maître de Santiago  : « Aux autres, les aventures maritimes.
Pour nous il n’y a plus qu’une aventure qui compte :
l’aventure intérieure. » Mais cela, la bande dessinée lui
paraît incapable de le traduire. Et il se met en tête que la
peinture sera désormais sa seule manière de s’exprimer.
    Quelques jours plus tard, Hergé revient sur sa lassitude
dans une longue lettre méditative qu’il adresse à Marcel
Dehaye :
Tu sais comme j’aimais mon métier. Tu sais comme je le faisais avec joie. Tu m’as souvent demandé si cela ne m’ennuyait
jamais. Et je t’ai toujours répondu : jamais.
    Jamais, parce que c’était ma propre soif d’aventures que je
transposais ainsi. Tintin, c’était moi, avec tout ce qu’il y a en
moi de besoin d’héroïsme, de courage, de droiture, de malice
[…] et de débrouillardise […]. C’était moi, et je t’assure que
je n’avais pas à me demander si cela plaisait ou non aux
gosses 14 .
    Maintenant, il a mûri. La guerre est passée par là, mais
aussi « la Libération et son cortège d’ignominies, de
lâchetés, de bassesses, l’affaire Thièry, et puis l’âge, tout
simplement l’âge ». Le désespoir d’Hergé est à la mesure
de son exigence. Depuis un moment, il cherchait à mettre
un peu plus de vie intérieure dans ses histoires ; il est en
train de se persuader que la forme même de la bande dessinée lui interdit d’atteindre ce qu’il désire :
Cette vie intérieure, il en passait tout de même un petit peu,
d’une manière invisible presque : le capitaine Haddock et
Tournesol sont déjà un peu plus humains dans leurs réactions que les Dupont. Mais comme c’est insuffisant !
    Ce que j’ai à dire à présent, mes admirations, mes émotions,
mes ferveurs, je ne puis pas les exprimer, je ne puis plus les
exprimer dans ce que je fais.
    L’impression d’Hergé, c’est qu’il y a un temps pour tout
et que maintenant il doit faire autre chose, même si la
réussite pourrait l’inciter à poursuivre. Les Aventures de
Tintin , c’est d’ailleurs au passé qu’il les évoque.
C’est vrai, l’argent rentrait facilement […]. Mais mon travail
n’était pas facile, tu le sais. Je lui devais des joies immenses,
mais les douleurs de l’enfantement étaient souvent très
cruelles. Les joies ne naissaient que des difficultés vaincues,
des problèmes techniques à résoudre : comment, avec un
peu d’encre de Chine, en blanc et noir, rendre vivants des
personnages, des plantes, des architectures, des animaux.
Chaque dessin constituait une occasion de vaincre ou
d’échouer.
    En réalité, malgré les conseils qui lui ont été donnés,
notamment par Marcel Dehaye, il se sent incapable de
reprendre son travail sans s’y investir totalement. Il en est
persuadé : celui qui fait une œuvre, « que ce soit Tintin ou La Comédie humaine , qu’il soit Hergé ou Balzac », ne peut
penser qu’à son œuvre et ne peut vivre que par elle.
Tout le reste est du temps perdu, du temps volé à son œuvre.
L’homme qui crée est un envoûté. […]
    Le créateur, son repos, c’est le travail de la création ; sa
détente, c’est quand il se penche sur le travail accompli, et
qu’il juge qu’il a bien travaillé. Mais il faut faire mieux : le
prochain dessin sera plus beau, plus vivant, plus complet. Et
il se remet à l’ouvrage. Je ne dis pas que c’est raisonnable. Je
ne dis pas qu’il ne serait pas souhaitable de savoir se reposer
à temps. Je dis que c’était impossible. C’était un déchirement
pour moi que de m’arracher à mon travail et d’aller au
cinéma ou au théâtre. Mon cinéma, mon théâtre, c’était ma
table de travail 15 .
    Jamais, dans les innombrables interviews qu’il accordera au cours des décennies suivantes, Hergé ne tiendra
un langage comme celui-là. Jamais il ne fera preuve de
cette lucidité, de cette exigence, de cette faculté d’analyse.
Comme

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