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Herge fils de Tintin

Herge fils de Tintin

Titel: Herge fils de Tintin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoit Peeters
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soulagement :
J’ai passé par une crise. À présent, c’est la crise qui passe. Et
si cette crise a été si violente, ce n’est pas, comme tu me l’as
dit et répété, que « j’avais envie d’autre chose ». […] Ma crise
est venue de ce que, m’étant rendu compte de ce qui arrivait,
avec toutes les conséquences que cela impliquait, je me suis
mis à lutter. Car je ne suis pas fait pour l’adultère, ma petite
femme. J’ai soif de fidélité. Ou plutôt, non, je suis « fidèle »,
foncièrement.
    La sérénité apparente dont faisait preuve Germaine,
jointe à cette souffrance qu’il ne pouvait ignorer, ont
conduit Hergé à se fermer de plus en plus.
Tu m’as dit « Il faut faire ce que tu as envie de faire ». Cela
signifiait, en bon français : « Si tu as envie de me quitter, fais-le. »
    Mais je ne désirais pas faire cela. Si cette idée m’est passée par
la tête (et elle m’est passée par la tête), je l’ai envisagée aussitôt comme une catastrophe.
    Même le jour où j’ai revu Rosane à Bruxelles, qu’ai-je fait ?
Je te l’ai dit, que je l’avais vue. […]
    Instinctivement, je voulais m’empêcher de glisser sur la pente
du mensonge et de la trahison, des rendez-vous clandestinset des lettres-poste-restante. J’ai fait mal, oui, mais ai-je mal
fait 11  ?
    Les journées calmes sur le bord du Léman apaisent peu
à peu Hergé. Il lit, il écrit, il se baigne. En des lettres plus
méditatives, il revient sur les événements des dernières
semaines. Ce qui l’emportait était irrésistible. Il fallait
cette solitude pour comprendre ce qui lui arrivait. « Il fallait surtout que la machine fût arrêtée. Ce n’est que
lorsque la passion s’est tue que l’on peut porter un diagnostic sur cette passion. Avant cela, il m’aurait été impossible de voir clair car la passion elle-même m’aveuglait 12 . »
    Pendant ce temps, Marcel continue à l’informer scrupuleusement des affaires courantes. L’idée de l’Argentine
paraît définitivement abandonnée ; ce n’était qu’une des
manifestations de la crise qu’il est en train de vivre. Pour
l’heure, on s’apprête à installer au premier étage de l’avenue
Delleur l’atelier personnel d’Hergé où trônera la nouvelle
table à dessin qu’il vient de commander à Lausanne. Ses
assistants travailleront au grenier et une nouvelle et coûteuse installation téléphonique garantira son indépendance
et sa tranquillité. Marcel lui donne également des nouvelles
de Raymond Leblanc qui cherche toujours un partenaire
pour une édition française du journal Tintin .
    Du côté d’Hergé, sur le plan professionnel, l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous :
Je devrais écrire aussi à M. Leblanc. Mais je ne m’en sens pas
le courage, ni surtout l’inspiration : que veux-tu que je lui
dise ? Que, quand je rentrerai, je ferai des étincelles. Or, de
ce côté-là, franchement, je ne suis encore nulle part. C’est
ainsi : mon travail, sous sa forme actuelle, comme je l’ai pratiqué depuis vingt ans, n’a pas encore réussi à me reprendre.C’est dommage, c’est triste, mais c’est ainsi. Voir clair, dis-tu.
Eh bien ! voilà, je vois clair, très clair. Il me serait impossible,
désormais, de mettre de nouveau toute ma vie dans ce travail.
Or, pour le bien faire, il faut s’y donner entièrement ; sinon,
même si le public n’y voit que du feu (je connais assez la technique et les trucs et les ficelles du métier pour faire en sorte
qu’on ne s’aperçoive de rien), sinon, c’est une corvée que l’on
exécute sans joie 13 .
    Hergé sait qu’il devra s’y remettre. Il lui faut honorer
ses contrats, à commencer par celui qui le lie à Raymond
Leblanc, jusqu’en mars 1951. Mais, dès qu’il en sera
libéré, il voudrait se lancer dans la peinture, et surtout
faire un portrait de celle qu’il a déjà dessinée tant de fois :
Germaine. L’heure est à un romantisme presque mystique, nourri de toute sa culpabilité. Quant à la bande
dessinée, elle lui paraît plus lointaine encore que l’année
précédente ; il sait pourtant tout ce que cet univers a
représenté pour lui :
Tintin a été pour moi une occasion de m’exprimer, de projeter hors de moi-même le désir d’aventures et de violences,
de vaillance et de débrouillardise qu’il y a en moi. Qu’il y
avait en moi. Désir aussi d’exprimer ma vision du monde
moderne : tant de laideur, de compromissions : les

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