Herge fils de Tintin
couple. « Merci pour tes vœux de
bonheur : cela n’est jamais superflu 5 », se contente-t-il de
lui écrire le 25 mai. Quelques jours plus tard, Germaine,
désemparée, demande à Marcel de lui envoyer une de ces
belles lettres dont il a le secret. « Cela me fera du bien, carj’en ai besoin 6 . » Les plans de voyage sont bousculés plusieurs fois ; on décide de ne pas repasser dans le Tessin.
C’est que, lors du séjour à Brissago, une liaison a commencé entre Georges et Rosane. Comme il l’expliquera
un peu plus tard à sa femme : « J’ai été pris à l’improviste
parce que je ne me méfiais pas. Je ne me méfiais ni de
Rosane ni de moi-même. J’ai cru que je pourrais être pour
elle une sorte de bon vieil oncle auprès duquel elle aurait
trouvé un peu d’amitié et de compréhension 7 . » Hergé ne
l’avait-il pas connue petite fille ? Ne l’avait-il pas emmenée plusieurs fois au théâtre avec Germaine, le dimanche
après-midi ? « Et puis il y a eu Brissago et l’atmosphère
capiteuse dont nous avons tous, à notre insu, ressenti les
effets. »
Est-ce la première infidélité ? Probablement pas. Mais
c’est sans doute la première qui soit sérieuse. Il est amoureux, follement amoureux, et tout aussi culpabilisé.
D’autant que Germaine est là, juste à côté d’eux, souffrante et silencieuse. La situation est invivable : plus
Georges se sent mal, plus il devient « méchant, sec et
impitoyable 8 ».
Le trio rentre à Bruxelles le 12 juin. Hergé parle à son
père et à Marcel. Il revoit Rosane et lui écrit, tenant Germaine au courant des moindres péripéties de sa liaison, ce
qui la blesse plus encore. Une semaine après, Hergé
semble avoir fait son choix. Bien décidé à ne pas perdre
Germaine, il repart avec elle en Suisse, espérant retrouver
à l’hôtel de la Plage la sérénité de l’année précédente.
Mais, à peine arrivé, Hergé redevient « morne et éteint »,la tête ailleurs. Dans le petit bungalow où ils logent cette
fois, l’atmosphère est particulièrement lourde. Comme
Germaine l’explique à son cher Marcel Dehaye :
Nous vivons côte à côte comme deux étrangers très polis […]
qui évitent soigneusement les terrains glissants…
Parce que, vois-tu, Georges ne sait toujours pas ce qui lui
arrive. […]
Impossible de parler de quoi que ce soit. La réponse est toujours la même : je ne sais pas ; c’est que cela doit être ainsi. […]
Mais pourquoi diable ne fait-il pas ce qu’il a envie de faire ?
[…] Qu’il vive donc « sa vie ». Si seulement il savait lui-même laquelle il voudrait vivre 9 .
Meurtrie par les perpétuelles hésitations d’Hergé, Germaine commence à le considérer comme « un malade gravement atteint ». Et elle refuse d’être plus longtemps sa
victime. Le 26 juin, après une nouvelle crise, Germaine
rentre à Bruxelles en avion. Marcel, qui est allé l’accueillir
à l’aéroport, s’adresse à Hergé sur un ton paternaliste dont
il ne parviendra jamais à se défaire.
Je crois que cette séparation momentanée est une bonne
chose pour tous les deux, et je t’engage même à résister à la
tentation de revenir. Je le sais bien : en ce moment, vous ne
pouvez vivre ni ensemble ni séparés l’un de l’autre. Mais c’est
encore cette dernière solution qui me paraît, pour l’instant,
la meilleure. Vous vous êtes déjà fait beaucoup trop de mal,
et il n’est pas de mots cruels, sinon irréparables, que vous ne
vous êtes dits l’un à l’autre. […]
Pour le moment, tu vis dans une obsession : ne sois pas complaisant à cette hantise. Il n’y a que les jeux du corps et un
travail de l’esprit qui pourront chasser le démon de l’introspection dont tu es présentement envoûté 10 .
Ces dernières années, à l’en croire, Hergé a été
« entouré d’amis amoraux dont les paroles, la vie personnelle, la mentalité » l’ont entraîné dans un univers dangereux. De qui pourrait-il s’agir, sinon de Jacques et Ginette
Van Melkebeke, bien connus pour leur athéisme ironique, leur tempérament frondeur et leur liberté sexuelle ?
Les « emballements naturels pour les êtres » qui seraient le
fait d’Hergé lui ôteraient toute clairvoyance.
Dans la lettre qu’il envoie à Germaine le lendemain,
Hergé lui-même paraît désireux de calmer les choses. Il est
gêné d’avoir laissé sa femme partir seule, mais ne peut dissimuler son
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