Herge fils de Tintin
est prétexte à dessiner : même les voyages
sont qualifiés de « campings d’études ». Il travaille en
autodidacte, sans génie, mais avec acharnement, loin du
grand art, mais avec un vrai sérieux. Déjà, il sait respecter
des contraintes et tenir des délais.
En ce début des années vingt, l’Action catholique
connaît une période faste. L’Église cherche à revenir à unchristianisme plus social, mais surtout plus conquérant.
Elle organise d’immenses rassemblements et fait « le serment de ramener la Belgique au Christ, parmi la toison
soyeuse des bannières déployées et l’allégresse martiale des
chants de marche 3 . »
La situation sociale et politique du pays est pourtant
loin d’être monolithique : au clivage linguistique entre
francophones et flamands s’ajoute le fossé qui sépare les
socialistes des catholiques. Les deux camps ont chacun
une clientèle fidèle, sans que l’un soit assez puissant pour
l’emporter sur l’autre. L’affrontement existe dans tous les
domaines, y compris sur les questions les plus concrètes :
il y a des marques de chocolat ou de savon que l’on sait
dirigées par des catholiques et que l’on soutient en toute
occasion. On recommande aussi de fumer « la cigarette
ACJB, la meilleure, composée des tabacs préférés par les
jeunes gens » ; on suggère aux propagandistes de lui
trouver « un dépositaire dans chaque paroisse 4 ».
Entre le scoutisme et le collège Saint-Boniface, Georges
Remi est très impliqué dans les mouvements d’Action
catholique. Mais il ne porte aux questions religieuses
qu’un intérêt relatif. « Naturellement, j’allais à la messe.
Et j’ai même eu des crises de mysticisme comme tout le
monde !… Je me disais que ça allait changer ma vie, mais
ça n’a jamais rien changé et je m’aperçois aujourd’hui que
je n’ai jamais réellement eu ce qu’on appelle la foi 5 . »
Comme beaucoup de gens, si le catholicisme le marque,
c’est d’un point de vue plus moral que spirituel : la notionde péché le poursuivra longtemps. « Il n’est pas possible
de se dégager […] d’une façon de penser qui est deux fois
millénaire 6 . »
Mais ses liens essentiels avec ce milieu sont en fait des
plus pragmatiques ; et ils le resteront. Participer aux activités de l’ACJB – l’Association catholique de la jeunesse
belge – lui donne en effet l’occasion de publier dans de
nouvelles revues, comme Le Blé qui lève , qui se qualifie de
« très jeune, très belge, très catholique ». Pour cette revue,
il dessine de nombreuses illustrations, plusieurs têtes de
rubriques, et même, en avril 1925, une histoire sans
paroles en quatre images, habilement découpée 7 . Il peut
aussi réaliser des affiches pour des « fancy-fair » ou de
petits dessins publicitaires pour le magasin scout le
« Campeur ».
C’est l’une des caractéristiques les plus frappantes de
l’œuvre d’Hergé (semblable en cela à celle de Simenon)
que d’avoir été immédiatement publiée. On pourrait
même dire qu’elle fut publiée avant d’être publiable.
Toute sa formation se fit à découvert : sous les yeux de
ses premiers lecteurs. D’emblée, ses travaux étaient
socialisés et destinés à plaire. Même si les tirages étaient
modestes, le jeune homme se trouvait confronté à une
série de médiations. D’abord, parce que ses dessins
étaient reproduits : ils « passaient » plus ou moins bien,
ce qui influa directement sur l’évolution de son style.
Ensuite, parce qu’ils prenaient place dans un contexte :
la taille de l’image, sa place dans la page et dans le
numéro étaient des éléments fondamentaux. Enfin, etc’est l’essentiel, parce qu’ils s’adressaient à de vrais lecteurs, aux réactions tranchées : une illustration pouvait
frapper ou rester sans écho, un gag faisait rire ou il tombait à plat. Avant de savoir dessiner et raconter, Georges
Remi eut la chance de se faire la main, à la façon d’un
artisan.
Peu à peu, le jeune homme se prend au jeu. Il sollicite
régulièrement les remarques d’un dessinateur un peu plus
âgé, Pierre Ickx, et fonde avec lui l’« Atelier de la Fleur de
Lys ». En mars 1924, Georges en rédige le « programme
de base », un texte emphatique et moralisant qui occupe
une page entière dans Le Boy-Scout . C’est le seul manifeste
théorique qu’il publiera jamais :
L’AFL a pour but de travailler à la formation
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