Herge fils de Tintin
de Mark Twain le marquent profondément. C’est un ton qui le ravit, et dont il
ne tardera pas à chercher un équivalent dans ses propres
travaux.
Pour l’heure, il dessine plus que jamais. Ses progrès
sont rapides et les étapes s’enchaînent naturellement. En
janvier 1926, il revoit de fond en comble la couverture
du Boy-Scout et promet au mensuel « des dessins d’un
genre tout nouveau ». Très vite aussi, il publie dans
d’autres petites revues, comme L’Effort et Le Blé qui lève ;il aime particulièrement dessiner des titres, et ne refuse
jamais de fournir une illustration, si austère que soit le
sujet 15 .
En dépit de ces diversions, les journées dans les
bureaux du Vingtième Siècle continuent à lui paraître
interminables. Comme si son avenir professionnel était
irrémédiablement bouché. C’est dans ce contexte qu’il
faut situer la « fugue » de Georges, évoquée à plusieurs
reprises par René Verhaegen, un ancien de Saint-Boniface qui est devenu le collègue d’Hergé au service des
abonnements 16 . Après plusieurs jours d’absence, le directeur administratif du journal, M. Waroquier, envoya
Verhaegen au domicile de son employé pour le prier de
regagner au plus vite son poste. Georges n’était pas chez
lui lorsque Verhaegen arriva au 34, rue de Theux, mais
sa mère promit de lui transmettre le message. Selon
toute apparence, le dessinateur s’était réfugié chez Pierre
Ickx et passait des heures à discuter de dessin, jurant
qu’il ne resterait pas gratte-papier toute sa vie. Il finit
pourtant par revenir au Vingtième Siècle . Si brève qu’elle
ait pu être, cette disparition me paraît annonciatrice des
fugues des années quarante. Quand sa vie lui déplaîttrop, Hergé n’affronte pas directement la difficulté : il
s’en va sans prévenir personne 17 .
Pour le moment, sa lassitude est telle qu’il devance
l’appel sous les drapeaux. Le lundi 16 août 1926, il rejoint
la caserne Dailly, à Schaerbeek, et est incorporé dans le
premier régiment de chasseurs à pied. Candidat sous-lieutenant de réserve, il doit faire deux mois de plus de service
que les simples soldats. Et, là aussi, il s’ennuie. S’il espérait
trouver à l’armée un prolongement du scoutisme, il s’est
lourdement trompé.
Les quelques lettres à sa famille qui ont été conservées
ne sont qu’une longue suite de plaintes. À Mons, Georges
se morfond : « La caserne est simplement infecte et je ne
sais si le mot infect est assez fort pour rendre l’état de
saleté, de puanteur dans lequel nous nous trouvons. »
Comble de malchance, il vient de se faire priver de sortie
pour quatre jours. « Les officiers nous traitent de “Bruxellois”. C’est une vie atroce. » Il déprime copieusement et
attend impatiemment de recevoir du courrier :
Écris-moi, je t’en prie, cela me donnera un peu de courage et
me fera oublier, tout le temps que je lirai ta lettre, l’atmosphère
pestilentielle de la chambrée. […] Je t’embrasse de tout cœur,
petite maman, et j’attends une petite réponse apte à chasser un
cafard que je qualifie sans exagération de monstre 18 .
Le 7 septembre 1926, Georges voudrait rejoindre ses
parents à Ostende, mais il n’en a pas la possibilité. « La
désillusion est épouvantable. » Il se dit affreusement
triste, même si « la tristesse n’est pas la mort à brève
échéance », et donnerait beaucoup pour les revoir, ne
serait-ce que quelques heures. Il conclut d’ailleurs sa lettre
de manière on ne peut plus sentimentale, en signant :
« Un petit pioupiou qui est privé des caresses d’une mère
chérie l’embrasse de tout son cœur 19 . »
Heureusement, il ne reste que peu de jours dans son
horrible caserne de Mons. Bientôt, les Bruxellois peuvent
rentrer au bercail. Si les possibilités de sorties sont plus
nombreuses, les journées passent lentement dans la
caserne, tout aussi ternes que celles au Vingtième Siècle .
Sauf quand l’occasion se présente de découvrir quelque
chose : d’un point de vue technique, le maniement des
armes ne manque pas de l’intéresser. Pierre Ickx lui avait
un jour fait la leçon sur sa façon peu crédible de dessiner
un fusil. Voici venue l’occasion d’observer et de faire des
croquis.
Les « dessins d’un genre tout nouveau » qu’il annonçait
dans Le Boy-Scout ont commencé à paraître au mois de
juillet 1926, juste avant le début de son service. Il ne
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