Herge fils de Tintin
quel moment,
de s’y retrouver. » Il faut aussi des héros dignes de ce nom,
et non de simples fantoches. Actuellement, à part peut-être Lambique, chez Vandersteen, qui manifeste quelques
sentiments humains, les protagonistes sont des marionnettes sans consistance et sans caractère, « sans aucun trait
saillant qui fasse croire à leur réalité ». Toutes les séries en
prennent pour leur grade, y compris Blake et Mortimer où
la psychologie, assez primaire, « reste à l’état d’intention ». Quant à Hassan et Kaddour ou à Barelli , ces séries
ne renferment « pas la moindre parcelle d’humanité,
même esquissée, même sommaire ». Partout triomphe
l’aventure mécanique.
Un système dont ont usé et abusé Vandersteen et
Laudy lui semble particulièrement inacceptable : c’est ce
procédé arbitraire par lequel un personnage se déplace
dans le temps. « Comment voulez-vous que le lecteur
puisse croire à la réalité, à l’existence de Bob et Bobette ou
de Hassan et Kaddour qu’il voit successivement se promener à des époques différentes ? Je ne nie pas que le lecteur puisse prendre plaisir à suivre ces histoires, je suis certain qu’elles ne le passionnent pas le moins du monde. »
Car l’enfant, quand il lit, éprouve le besoin d’admirer un
héros au point de vouloir lui ressembler. Mais pour cela,
il faut d’abord qu’il y croie. Comme il croit à Tintin et
s’identifie à lui. De manière générale, sur ce terrain, les
Américains lui paraissent beaucoup plus forts que les
Européens.
Hergé a encore une autre suggestion. On pourrait
puiser dans l’actualité, chaque semaine ou tous les quinze
jours, un fait susceptible d’être raconté en quelques pages
de bande dessinée : l’ascension de l’Aiguille verte ou de
l’Annapurna, Haroun Tazieff et ses recherches sur les volcans, un coup de grisou dans un charbonnage ou les inondations en Italie… Un dessinateur serait chargé, à partir
d’un scénario rapidement construit, de réaliser un court
récit à partir de cet événement.
De tels projets supposent naturellement de disposer
d’une documentation abondante et de dénicher d’urgence
un journaliste qui soit un véritable « reporter-scénariste »,
capable de traiter l’actualité de manière vivante et
humaine. « Tout cela je le sais est un peu révolutionnaire
et demande plus que de la routine. » Pour y arriver, il faut
un effort supplémentaire de chacun et pas mal d’imagination. Mais sinon, pourquoi publie-t-on un hebdomadaire ?
L’optique d’Hergé est loin d’être fausse. Quelques
années plus tard, elle fera le succès de Pilote . Mais ce que
l’auteur des Aventures de Tintin ne voit pas, c’est que son
autoritarisme, s’ajoutant à l’immense prestige dont il
jouit, étouffe la possibilité d’initiatives de la part des
autres auteurs. Il rêve de l’éclosion d’individualités et de
talents forts, mais rend leur apparition plus que problématique. Contrairement à Spirou , Tintin ne peut
connaître de véritable vie de rédaction, créative et détendue : un dessinateur comme Jijé, dont l’œuvre personnelle est chaotique et dispersée, a su favoriser l’émergence
de nouveaux talents, aux styles très différents du sien.
Hergé est incapable d’en faire autant. Longtemps, il a été
le seul auteur de bande dessinée belge ; il reste persuadé
d’être de très loin le meilleur.
Sa vie privée est beaucoup moins brillante.
Il a toujours aimé la vitesse, et avec sa belle Lancia
Aprilia – qu’il a dessinée dans Tintin au pays de l’or noir – ,
il peut s’en donner à cœur joie. La voiture se conduit à
droite, comme plusieurs modèles italiens de l’époque,
mais cela ne le dérange pas. Jusqu’à ce dimanche
17 février 1952. Sur la route qui mène de Céroux à
Mousty, alors que Hergé s’apprête à dépasser une petite
Renault qui roule un peu trop tranquillement à son goût,
le conducteur tourne brusquement à gauche pour
prendre une petite route de campagne. Les deux voitures
sont en miettes. Ni Georges ni le conducteur de l’autre
véhicule ne sont blessés, mais Germaine hurle de douleur.
Dans une lettre à ses vieux amis José De Launoit et
Alice Devos, Hergé décrit avec précision les suites de
l’accident :
Transport de Germaine en ambulance (une heure et demie à
attendre sur la route) à Ottignies. De là, à Bruxelles, à la clinique du Solbosch.
Radios : une
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