Herge fils de Tintin

fracture effroyable, des esquilles dans tous les
coins. L’os a littéralement éclaté sous le choc.
    L’opération a eu lieu le mercredi suivant et a parfaitement
réussi, malgré tout. Une tige d’acier a été introduite dans l’os,
de façon à ce qu’il ait la même longueur que l’autre. De cette
manière, il paraît que Germaine ne boitera pas.
    Ensuite, dès le jeudi, la fièvre s’est mise à monter. Les jours
suivants, c’est le cœur qui a flanché et le samedi nous avons
bien cru que le pire allait se produire 7 …
    La situation s’améliore peu à peu ; on pose à Germaine
un immense plâtre et, après plusieurs semaines, elle peut
rentrer à Boitsfort. Mais les mois passent et la situation
reste préoccupante. Leur « vieux parrain » Norbert Wallez
les réconforte de son mieux :
En trois jours, un très gros nuage s’est formé et dissipé. Jeudi
matin, on m’affirmait que la chère accidentée ne se déplaçait
plus qu’en voiturette et en peignoir et que tel serait désormais son sort. Et on ajoutait : « … elle qui aimait tant à se
mouvoir, svelte et souple, et rapide, elle qui aimait tant l’élégance et la mode !… » […]
    Et voilà que des nouvelles tout à fait rassurantes m’arrivent
sur carton bleu, couleur d’espérance. Deo gratias 8  !
    Mais l’espérance se fait attendre. L’abbé Wallez meurt
quelques semaines plus tard, le 24 septembre 1952, et la
convalescence de Germaine s’éternise. Elle reste pendant
des mois dans sa chaise roulante, puis boite quand elle se
remet à marcher. Son caractère s’aigrit et elle ne peut
s’empêcher de rendre Hergé responsable de son état.
Depuis l’accident, elle est devenue très proche de Bertje
Jagueneau. Certains affirment même que, peu avant le
17 février, la voyante a annoncé à Georges et à Germaine
qu’un danger les menaçait 9 . Ce qui est sûr, c’est que
Bertje passe beaucoup d’heures auprès de Germaine et
que son ascendant sur elle ne cesse d’augmenter. Elle luifait régulièrement son horoscope et prétend la guérir de
ses douleurs à coups de potions, comme elle a guéri
Georges de l’eczéma qui lui dévorait les mains dès qu’il se
remettait à dessiner. En attendant, Germaine a tendance
à boire de plus en plus.
    Pour la maison de Céroux-Mousty, Bertje Jagueneau
aimerait également prendre les choses en main. Certes,
c’est le décorateur Maurice Lemmens, un de ces autodidactes que Hergé apprécie dans tous les domaines, qui
est le principal responsable de cet aménagement coûteux
où les styles flamand, espagnol et anglais se mêlent de
manière discutable. Mais la « tûveress » a aussi son avis
et ses bons conseils à donner. N’est-elle pas la veuve d’un
antiquaire hollandais ? Comme quelques autres, elle
profite sans trop de scrupules de la naïveté d’Hergé et de
ses moyens financiers accrus. L’un de ses fils n’hésite pas
à vendre très cher au créateur des Aventures de Tintin un
tableau d’Hercule Seegers d’une authenticité plus que
douteuse. Lorsque ses manœuvres sont éventées, Bertje
plaide le simple malentendu auprès de Germaine, et
Hergé tourne la page.
    L’influence de Bertje Jagueneau sur le refroidissement
graduel des relations d’Hergé avec Jacques Van Melkebeke est indiscutable, même si cette affaire reste assez
mystérieuse. Dès 1950, « l’ami Jacques » se plaint qu’il
soit devenu impossible d’avoir « un échange de vues
réel » avec Hergé. « Pour être tout à fait franc, je trouve
absolument déplorable d’être depuis si longtemps coupé
de tout contact avec toi […]. Il n’est pas de question
qu’une brève conversation ne clarifie bientôt 10 . » Mais
s’il y a indéniablement un malaise, les relations ne sont
pas rompues.
    La dernière lettre de Van Melkebeke à Hergé retrouvée
à ce jour date du 13 avril 1951 et est pour l’essentiel
consacrée à ses problèmes d’argent. L’ancien collaborateur
du Nouveau Journal a été condamné, en plus de ses années
de prison, à une amende considérable. Raymond Leblanc,
qui l’apprécie de plus en plus, a offert de lui avancer cette
somme ; Van Melkebeke s’engage à le rembourser sous
forme de travaux. « Pour donner à la clause une forme
concrète, il a été prévu que je ferais une histoire en images
pour Ons Volkske , histoire payée au taux de ce journal »,
explique-t-il, avant de demander à Hergé s’il accepterait
de lui donner