Herge fils de Tintin
Éditions du Lombard. Mais,
dans l’immédiat, les rapports se pacifient. Leblancapprouve la nouvelle orientation que le travail d’Hergé
vient de prendre, avec l’installation de vrais Studios.
Désormais, on va pouvoir dialoguer d’entreprise à entreprise.
L’équipe se complète et se structure, avec l’arrivée de
trois fortes personnalités, qui viennent épauler Bob
De Moor.
Le courrier et les tâches administratives ne cessant de
prendre du volume, Hergé recrute d’abord un
« secrétaire au sens complet du terme 3 » ; on pourrait
presque dire un « ministre de la Plume ». Né en 1916
dans une famille noble et proche de la famille royale
depuis plusieurs générations, Baudouin van den
Branden de Reeth a abandonné très tôt ses études à
l’austère collège Saint-Michel où il était le condisciple de
Bernard Heuvelmans. Entré à dix-neuf ans au quotidien L’Indépendance belge , il était alors le plus jeune journaliste de Belgique. Bien que Hergé et Baudouin van den
Branden de Reeth ne se soient rencontrés qu’en 1947, ils
avaient « beaucoup de relations communes » et avaient
fréquenté « les mêmes milieux journalistiques 4 » pendant
l’Occupation… Grand ami de Raymond De Becker (qui
fut sans doute amoureux de lui), Baudouin van den
Branden avait collaboré au Nouveau Journal d’octobre 1940 à 1943, avec la conviction que « l’action
menée par un Robert Poulet répondait au vœu » de
Léopold III et qu’y participer constituait « un devoir
pour les journalistes soucieux de défendre les intérêts dela Belgique et l’avenir de la monarchie 5 ». Lors du
procès, le réquisitoire s’était révélé sévère, parlant de
« faute grave » et réclamant cinq ans d’emprisonnement.
Toutefois, l’auditeur militaire avait conclu que van den
Branden avait agi « avec légèreté, mais non sans un certain
souci d’idéalisme » et sa condamnation avait été réduite à
dix-huit mois. Pendant sa détention, Baudouin van den
Branden avait connu de graves soucis de santé ; depuis, il
vivotait tant bien que mal.
Hergé engage l’ancien journaliste en mars 1953, deux
semaines avant le déménagement des Studios pour les
bureaux de l’avenue Louise. Dans le même temps, la
femme de van den Branden, Jacqueline, devient secrétaire
de rédaction du journal Tintin , un poste stratégique qui,
plusieurs années durant, permet à Hergé d’être au courant
de tout ce qui se trame aux Éditions du Lombard.
Le baron van den Branden de Reeth impressionne
l’auteur des Aventures de Tintin par son origine sociale, sa
culture et sa brillance. Mais, contrairement à Jacques
Van Melkebeke, ou même à Marcel Dehaye, Baudouin ne
prend jamais Hergé de haut. Il fait plus que le respecter, il
l’apprécie réellement, comme créateur et comme homme.
« J’ai mis des années à me rendre compte qu’il était encore
beaucoup plus intelligent que je ne le croyais », dira-t-il
un jour. Une grande complicité s’établit entre les deux
hommes. Aux Studios, ils sont les seuls à se tutoyer. Souvent le samedi matin, ils se retrouvent au bureau, juste
pour le plaisir de bavarder tranquillement. S’ils s’entendent très bien, ils n’ont pas du tout le même tempérament. Baudouin a, par exemple, des mœurs beaucoup
plus libres que Hergé : un soir, à Paris, il lui proposera
même d’aller dans un luxueux bordel, proposition qui
laissera le dessinateur sans voix 6 .
Désormais, c’est avec van den Branden que l’auteur de Tintin revoit minutieusement ses dialogues ; avec lui qu’il
a parfois « des empoignades homériques sur un point de
style, sur une virgule, sur la façon de tourner une phrase
pour la faire mieux coller au dessin 7 ». Baudouin s’occupe
aussi de l’organisation intérieure et des contacts extérieurs. Sa première mission est de dépouiller le courrier
qui, avec le succès, a crû dans des proportions considérables. Il répond lui-même à la plupart des lettres, avec
autant d’humour que de finesse. Il est du reste difficile,
dans la correspondance dactylographiée d’après 1953, de
distinguer les lettres écrites par Hergé et celles qui le
furent par van den Branden. Leurs deux styles ont peu à
peu déteint l’un sur l’autre, celui du baron perdant certains de ses effets journalistiques, tandis que celui d’Hergé
s’arrondissait et se nourrissait de références littéraires.
Jacques Martin, lui, a mis
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