Herge fils de Tintin
un bon moment à se faire
accepter. Né à Strasbourg en 1921, il a découvert Les
Aventures de Tintin au patronage, à travers les « films
fixes » qui étaient tirés des albums. Il en a été à ce point
émerveillé que cela a décidé de sa vocation. À ses débuts,
il a publié quelques dessins dans Je maintiendray , une
revue des Chantiers de jeunesse où il avait été incorporé
avant d’être réquisitionné pour le Travail obligatoire, auxusines Messerschmitt d’Augsburg. En 1946, Jacques
Martin s’est installé en Belgique, à Verviers, commençant
à publier des bandes dessinées réalisées avec un certain
Leblicq, sous le pseudonyme de Marleb 8 . Mais, dès la
parution du premier numéro de l’hebdomadaire Tintin ,
c’est là qu’il rêve de publier. Il va montrer ses dessins à
Raymond Leblanc, qui se déclare séduit. Hergé, par
contre, n’apprécie guère les pages qu’il a vues et ne prend
pas de gants pour le lui dire. Lorsqu’il le rencontre pour la
première fois à l’un des banquets du journal Tintin , Hergé
lui lance : « Ah, c’est vous Martin ! Eh bien, vous avez
encore énormément de progrès à faire. » Sans plus de précautions oratoires, il lui conseille d’étudier la perspective
et de revenir au croquis d’après nature. Pour Martin, c’est
un choc, car Hergé représente pour lui la référence
absolue.
Quand l’auteur des Aventures de Tintin reprend contact
avec lui, d’abord pour les chromos de Voir et savoir que
Jacobs ne veut plus assumer, puis en lui demandant de
venir travailler à ses côtés, Jacques Martin a donc comme
une revanche à prendre. Quelle étrange idée de la part
d’Hergé d’avoir recruté une personnalité aussi forte que
Martin, un tempérament extraverti, à l’opposé du sien,
doublé d’un créateur hanté par le pouvoir et ses complots
(c’est l’un des ressorts constants des albums d’ Alix et de Lefranc !). Et, symétriquement, quelle idée pour Martin
d’avoir accepté de devenir, au mieux, le second d’un indétrônable César ! Mais ce qui a séduit Hergé en Jacques
Martin, au lendemain de la publication de La Grande
Menace , c’est sans doute un écho d’Edgar Jacobs : un collaborateur complet, scénariste en même temps que dessinateur, quelqu’un qu’il pourra consulter à sa guise.
Conscient que c’est désormais l’auteur des Aventures de
Tintin qui a besoin de lui, Martin se fait prier plusieurs
mois durant. Il accepte finalement de venir s’installer à
Bruxelles, mais impose ses deux assistants personnels,
Roger Leloup et Michel Demarets. Arrivé aux Studios le
2 février 1954, il réalise d’abord l’essentiel de La Vallée des
cobras , aventure de Jo, Zette et Jocko restée en plan à la
vingt-cinquième planche du fait de la guerre. L’exercice,
qui a surtout valeur de test, donne entière satisfaction à
Hergé.
Une troisième collaboratrice importante est venue
rejoindre l’équipe quelques mois auparavant. Josette
Baujot, née en 1920, arrivait d’Argentine, où son mari –
un ancien membre de la très rexiste Légion Wallonie,
selon Pierre Assouline 9 venait de mourir dans des circonstances mystérieuses, au cours d’une chasse aux
canards. Avant qu’elle ne rentre en Belgique, des amis ont
conseillé à la jeune veuve d’aller chercher du secours
auprès « des van den Branden ». Elle se rend d’abord au
journal Tintin et y rencontre Jacqueline, qui n’a pas de
travail à lui proposer, mais la recommande à Baudouin 10 .
Excellente dessinatrice, Josette Baujot sera, pendant plus
de vingt-cinq ans, la principale responsable des mises en
couleur. Ses liens avec Hergé ne seront jamais simples,
peut-être parce qu’elle n’a pas l’habitude de mâcher ses
mots. Ainsi, peu de temps après avoir été engagée, elle fait
une remarque sur le salaire qui lui a été alloué. « Tout demême, ce n’est pas mal pour une femme ! », lui répond
Hergé, suscitant ses protestations 11 .
C’est dans le numéro de Noël 1954 que commence
enfin L’Affaire Tournesol . Cela fait bien longtemps que
Hergé n’avait pas eu de nouvelle idée pour une histoire : Le Temple du Soleil et Au pays de l’or noir ne faisaient
qu’achever des récits anciens et le projet d’envoyer Tintin
sur la Lune remontait à l’immédiat après-guerre.
L’impulsion de L’Affaire Tournesol a sans doute été
donnée à Hergé par un article de l’hebdomadaire belge Le
Face à
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