Herge fils de Tintin

après avoir combattu dans le maquis, après
avoir survécu au camp de concentration, après avoir
repéré et signalé à l’Intelligence service la base de Peenemünde, passe maintenant son temps à élaborer les
hypothèses les moins contrôlables, à imaginer des univers
logiques dans lesquels il est impossible de calculer deux
plus deux 22 . » Bergier sera d’ailleurs ravi d’être devenu un
personnage de bande dessinée.
    Avec Vol 714 pour Sydney , Hergé déclarait avoir voulu
« revenir à l’Aventure avec un grand A… sans y revenir
vraiment 23  ». L’album se ressent un peu de cette hésitation : l’auteur regrette d’avoir montré les soucoupes de
manière si explicite, à la fin de l’album, sans trop savoir ce
qu’il aurait pu faire d’autre. C’est aussi dans ce livre qu’il
démolit et ridiculise deux de ses principaux personnages
de « mauvais », Allan et Rastapopoulos. Le trait, malheureusement, est lourdement appuyé.
     
    Casterman, qui a attendu cinq ans ce nouveau Tintin , est
décidé à faire un réel effort promotionnel pour lutter contre
l’irrésistible ascension d’ Astérix . Mais le contexte ne s’y
prête guère : le cocktail de lancement de Vol 714 , à Paris, a
lieu le 16 mai 1968, l’un des jours où les manifestations
étudiantes sont les plus intenses ! Après un voyage de promotion qui tient de l’épopée, Hergé se demande combien
de livres vont pouvoir se vendre, dans un contexte comme
celui-là. Pourtant, l’album sera un succès. Au terme de son
premier semestre d’exploitation, il bat les records des histoires précédentes, atteignant le demi-million d’exemplaires. C’est bien… mais c’est beaucoup moins qu’ Astérix ,
dont la progression a continué pendant ce temps.
    Pour remonter la pente, d’autres idées sont nécessaires :
un nouveau film par exemple. En cette fin des années
soixante, la société Belvision, qu’a créée Raymond
Leblanc, est devenue, avec ses cent cinquante employés, le
plus important studio d’animation européen. Après avoir
produit de nombreux dessins animés pour la télévision,
Raymond Leblanc s’est lancé dans la réalisation de longs
métrages destinés au grand écran. Les deux premiers, Astérix le Gaulois et Astérix et Cléopâtre connaissent un
succès considérable. Leblanc voudrait récidiver avec Tintin . Hergé est sceptique, parce qu’il sait que son
propre style graphique est beaucoup plus difficile à
animer que celui d’Uderzo. Mais il ne veut pas laisser le
champ libre à celui qui est devenu son premier rival. C’est
avec une certaine distance, pour ne pas dire de la
méfiance, qu’il suit l’adaptation du Temple du Soleil . Le
film, qui sort en 1969, sera très décevant, tout comme Tintin et le lac aux requins , trois ans plus tard 24 . Tintin,
décidément, ne ressemble guère à Astérix.
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    1  Agenda de Marcel Dehaye, 8 janvier 1964.
    2  Agenda de Marcel Dehaye, 19 mars 1964.
    3  Lettre d’Hergé à Maître Jean Favart, 29 juillet 1964.
    4  Agenda de Marcel Dehaye, 9 septembre 1964.
    5  Agenda de Marcel Dehaye, 9 mars 1965.
    6  Numa Sadoul, Tintin et moi, entretiens avec Hergé , édition
définitive, Casterman, 2000, p. 90.
    7  Numa Sadoul, Tintin et moi, entretiens avec Hergé , édition
définitive, Casterman, 2000, p. 153.
    8  Témoignage de Bob De Moor à l’auteur, 1988.
    9  Les entretiens rassemblés par Hugues Dayez dans La Nouvelle
Bande dessinée (Niffle, 2001) offrent sur ce sujet d’intéressants aperçus.
    10  Numa Sadoul, Tintin et moi, entretiens avec Hergé , édition
définitive, Casterman, 2000, p. 66-68.
    11  Michel Serres, « Les bijoux distraits ou la cantatrice sauve », Critique , juin 1970.
    12  Benoît Peeters, « Le témoignage de Bob De Moor » in À suivre,
spécial Hergé , avril 1983, p. 85.
    13  Félicien Marceau, Balzac et son monde , Gallimard, coll. « Tel »,
1986, p. 29.
    14  Philippe Goddin, Hergé et les Bigotudos , Casterman, 1990, p. 123.
La planche en question et le découpage préparatoire dont elle s’inspire
sont reproduits dans le même ouvrage.
    15  Déclaration d’Hergé à L’Illustré , 6 décembre 1965.
    16  Agenda de Marcel Dehaye, 1966.
    17  Éric Gilles, « Jacques Martin », in Les Amis de Hergé , n o  10,
décembre 1989, p. 11.
    18  Cité par Pierre Assouline in Hergé , Gallimard, coll. « Folio »,
1998, p. 595.
    19  Témoignage de Jacques Martin