Herge fils de Tintin
prolonge et l’amplifie.
De toute évidence, ces questions de métier le passionnent et il est heureux de voir quelqu’un examiner avec
attention cette besogne de l’ombre à laquelle il a consacré
tant d’efforts. Aussi aimerait-il pouvoir un jour « longuement bavarder » avec son auteur. « Si, à l’occasion, vous
veniez en Belgique, je compte bien que vous me feriez
signe, et que ce serait le meilleur des “signes” en conclusion d’une analyse sémiotique… »
Quand ladite analyse devient plus technique, Hergé,
tout « profane » qu’il se sent, continue néanmoins de
réagir attentivement.
J’ai lu, dans le numéro 15 de [la revue] Communications , « le
verbal dans les bandes dessinées » ; j’ai lu la version remaniée
et amplifiée de votre mémoire de maîtrise. Tout cela, je l’ai
abordé comme peut l’aborder un non universitaire. L’effet
est le même que devant un texte rédigé dans une langue qui
n’est pas familière au lecteur : il saisit des passages, il ne saisit
pas tout, tant s’en faut. Le plus souvent, se raccrochant à des
bribes de connu, il devine. Eh bien ! quant à moi, l’ensemble
formé par ce que je comprends et ce que je devine a le don
de beaucoup m’impressionner 16 .
Si de telles approches l’intéressent et parfois même le
passionnent, s’il lui arrive de discuter pied à pied avec
l’auteur sur l’un ou l’autre détail, il rappelle souvent que
« l’essentiel se passe au niveau de l’inconscient » et que « la
qualité essentielle de tout créateur est la spontanéité,
laquelle exclut, en grande partie, l’analyse 17 ». Il s’en rend
peut-être d’autant mieux compte que, cette spontanéité,
il lui est de plus en plus difficile de la retrouver…
Le plus frappant, dans cette correspondance comme
dans plusieurs autres qu’il entretient, c’est l’attention que
porte Hergé à son correspondant. Entre deux discussions
théoriques, il envoie au jeune sémiologue, qui se morfond
pendant son service militaire, un paquet destiné à lui
exprimer sa « gratitude » et lui « valoir quelque plaisir » :
un exemplaire du rarissime Tintin au pays des Soviets .
Dans une autre lettre, il se désole de ne pas avoir répondu
assez vite à l’inquiétude que manifestait Pierre Fresnaultquant à son avenir professionnel. « Mon absence de réaction a pu vous faire croire à de l’indifférence de ma part
pour une chose aussi importante. Il n’en est rien 18 . »
Hergé répond avec le même soin et la même gentillesse
à des milliers de jeunes lecteurs. « Ne pas donner suite à
des lettres d’enfants serait trahir des rêves 19 », déclare-t-il
un jour à son amie Dominique de Wespin. Et ce n’est pas
seulement une jolie formule. Nombreux sont ceux qui
ont gardé un souvenir ému des courriers d’Hergé. Fin
1963, le petit Jacques Langlois envoie ainsi à l’auteur qu’il
admire le plus une série de dessins tintinesques de sa composition. Hergé lui répond aussitôt.
Parmi tous les vœux que j’ai reçus, rien ne m’a fait autant de
plaisir que votre véritable « album ». Personne ne s’étant donné
autant de peine que vous pour me remercier, à mon tour, je ne
remercie personne… que vous ! Bien amicalement 20 .
Et ainsi de suite, année après année, parfois très longuement.
On pourrait être tenté de relativiser, en accordant à
Baudouin van den Branden la paternité de toutes ces
lettres, d’autant qu’elles sont désormais dactylographiées.
Mais l’hypothèse me paraît peu crédible. Car Hergé ne se
contente pas de répondre à ses correspondants les plus
inventifs ; il se souvient parfaitement d’eux. En 1964, il a
rencontré brièvement Jacques Langlois ; quelques mois
plus tard, les remerciements qu’il adresse à son « cher
ami » portent la trace de ce moment. Et, lorsque Jacques
Langlois peut enfin réaliser le pèlerinage jusqu’aux Studios Hergé, il a la surprise et la joie de trouver étalés sur lebureau tous les dessins qu’il a envoyés depuis le début des
années soixante 21 .
Des attentions de ce type ne sont pas exceptionnelles.
Aussi est-il un peu étrange d’affirmer, comme certains ont
pu le faire, que Hergé n’aimait pas les enfants. Qu’il ait pu
les préférer à travers la distance des lettres ou la quiétude
de rencontres choisies plutôt que dans l’agitation des
séances de dédicaces est en revanche assez probable.
Hergé refuse les
Weitere Kostenlose Bücher