Herge fils de Tintin
successifs, tandis que le roi léguait, par testament, le Congo à la
Belgique. En 1908, lorsqu’elle hérita de cette colonie
quatre-vingts fois plus vaste qu’elle, la Belgique dut commencer par mettre fin aux exactions les plus manifestes du
« régime domanial » tant étaient vives les critiques des
autres États européens. Depuis cette époque, le pays souffrait d’un manque de main-d’œuvre belge. Parmi les
objectifs que l’abbé Wallez assignait à Hergé pour son Tintin au Congo , susciter des vocations n’était pas le
moindre.
Le dessinateur n’avait guère d’enthousiasme pour le
sujet, et moins encore de documentation. Une visite au
musée du Congo, à Tervuren, lui fournit les éléments
essentiels : une pirogue, des fétiches, un homme-léopard
et une belle série d’animaux empaillés. Hergé avait aussi
eu l’occasion d’entendre les récits des reporters du Vingtième Siècle qui s’y étaient rendus. Pourtant, tout cela ne
le faisait pas rêver : « Je n’aimais pas les coloniaux qui
revenaient en se vantant de leurs exploits. Mais je ne pouvais m’empêcher de considérer les Noirs comme de grands
enfants 11 . » Hergé n’était pas plus raciste qu’un autre.
Pour l’heure, c’était un simple journaliste qui obéissait
aux ordres, le petit télégraphiste de l’abbé Wallez. Il reflétait les préjugés de son milieu et de son temps, sans penser
à s’interroger. « Je suis très perméable, très influençable,
et à ce titre un excellent médium… Tous mes albums
portent la trace du moment où ils ont été dessinés »,
expliquait-il à Henri Roanne. Et il est vrai qu’en 1930 les
visiteurs se pressaient par millions à l’Exposition coloniale
de Paris, délaissant l’exposition anticolonialiste mise sur
pied par les surréalistes. Mais on a oublié les brochures et
les discours de l’époque, alors que l’album d’Hergé est
parvenu jusqu’à nous.
Lors du départ de Tintin pour le pays des Soviets, seul
M. Zwaenepoel, le rédacteur en chef, était visible sur le
quai de la gare. Quand le reporter s’en va pour le Congo,
le 5 juin 1930, il y a sur le quai des scouts, des badauds,
des journalistes (dont l’un porte une caméra), sans oublier
Quick et Flupke. Même les employés des chemins de fer
savent que « c’est monsieur Tintin, le reporter du Petit
Vingtième , qui part pour le Congo ». Quant à Milou, il estdéjà entouré d’une foule d’admirateurs à quatre pattes.
L’arrivée à Matadi est plus sensationnelle encore : dès leur
descente du bateau, Tintin et Milou sont accueillis
comme des vedettes et ne s’en montrent pas mécontents :
« Ils sont gentils, ces nègres, de nous porter en triomphe
jusqu’à notre hôtel ! »
Tintin au Congo n’a pourtant rien de grandiose. Si le
dessin est un peu plus maîtrisé que dans l’aventure précédente, beaucoup de textes sont lourdement explicatifs :
« Vu ma qualité de passager clandestin, il ne faut pas que
ce chien me fasse repérer. Le seul moyen d’échapper est de
l’assommer en douce. » Certains monologues, pesants à
souhait, tiennent du morceau d’anthologie : « Excellent !
Cette idée de placer derrière un arbre un électroaimant
puissant qui, attirant à lui les pointes de fer des flèches et
des sagaies, me laissait invulnérable. » Les bonheurs de
langue, qui émailleront Les Aventures de Tintin , sont
encore rares.
Quant au récit, il est réduit à sa plus simple expression.
C’est une suite de sketches entrecoupée de quelques pages
de propagande coloniale. La confrontation avec le règne
animal constitue le matériau essentiel. Un perroquet, un
poisson-torpille et un requin ont marqué la traversée. On
trouve ensuite des crocodiles, un troupeau d’antilopes,
des bataillons de singes, un lion, des boas, des léopards,
un éléphant, des girafes, un rhinocéros et un troupeau de
buffles. Le jeu de massacre aurait de quoi effrayer si ces
pauvres bêtes n’étaient à l’évidence de simples postiches,
des « costumes » dans lesquels le héros peut se glisser sans
que coule une goutte de sang. Si les Noirs sont « de grands
enfants », Tintin agit ici comme un enfant plus jeune
encore, manipulant à sa guise un monde qui n’est peuplé
que de peluches et de figurines de plomb.
Le retour du pays des Soviets avait été grandiose. Naturellement, une opération similaire est orchestrée pour la
fin de l’aventure congolaise.
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