Herge fils de Tintin
extérieur, sur l’avenue Delleur, dans la commune de Watermael-Boitsfort. Il n’y a pas de jardin, mais une grande
terrasse sur la façade arrière et un parc juste en face.
C’est quasiment la campagne, à quelques kilomètres de
Bruxelles.
Georges et Germaine déménagent le 15 mai 1939.
Mais dans l’immédiat, le dessinateur n’a guère l’occasion
de profiter de sa nouvelle habitation. Il est mobilisé le
1 er septembre, alors que la Pologne est envahie par les
troupes du III e Reich. Deux jours plus tard, la France et
l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne. Le gouvernement belge, que dirige Hubert Pierlot, continue de
prôner la neutralité, mais se transforme en cabinet
d’union nationale. Le roi Léopold III prend le commandement de l’Armée, comme l’avait fait autrefois Albert I er .
Pour le lieutenant Hergé comme pour ses compagnons, les ordres et les contre-ordres se succèdent.
Envoyés par erreur dans le minuscule village d’Herenthout, « encombré de soldats, de camions, de cuisines
roulantes et d’ambulances 1 », ils attendent les événements dans une salle de café. Hergé en profite pour écrire
à Germaine des lettres particulièrement tendres. Pendant
ce temps, à Bruxelles, certains ne perdent pas le nord : le
dessinateur Pierre Ickx propose à Hergé de réaliser ses
planches à sa place, à partir du scénario et des croquis qui
lui seraient fournis. Le paiement serait partagé à égalité, et
les pages signées « d’après Hergé » ou « Atelier Hergé » 2 .
C’est la première fois que quelqu’un propose au créateur
de Tintin de continuer la série à sa place ; ce ne sera pas la
dernière.
Hergé n’a nullement l’intention d’accepter une telle
proposition. Du reste, démobilisé provisoirement dès le
19 septembre, il peut se remettre au travail. Le 28 septembre, la couverture du Petit Vingtième annonce que
« Tintin est revenu » : en uniforme militaire, il arbore fièrement son ordre de démobilisation, tandis que Milou
affiche l’emblème de la Croix-Rouge. Et la parution de Tintin au pays de l’or noir peut commencer dès le
12 octobre 1939, à peine deux mois après la fin du Sceptre
d’Ottokar . Contrairement à ce qui a souvent été dit, ce
nouveau récit flirte moins avec l’actualité immédiate que
celui qui l’a précédé. Dans cette première version, il n’est
jamais question de la menace de guerre. C’est seulement
lorsqu’il reprendra son histoire, neuf ans plus tard,
qu’Hergé glissera dans les premières planches des allusions à la mobilisation.
En octobre 1937, Hergé a repris contact pour la première fois depuis des années avec son vieil ami Raymond
De Becker. Hergé avait dessiné pour lui, longtemps auparavant, la couverture, d’un troisième ouvrage, Destin de la
France , lequel n’était jamais paru. Après une crise mystique et un long séjour en France, De Becker a pris ses distances avec le catholicisme et a investi toute son énergie
sur le terrain politique. Désormais aussi, il ne fait plus
mystère de son homosexualité.
En 1939, au moment où sa route s’apprête à croiser
plus durablement celle d’Hergé, De Becker publie La Vie
difficile , un livre dans lequel il prône « la libération à
l’égard des vieilles formes de la pensée et de la civilisation » et la création d’une nouvelle synthèse. À l’en
croire, la Belgique est appelée, plus que toute autre
nation, à une grande mission européenne : « par son dualisme racial, linguistique et culturel, elle participe aux
deux groupes et aux deux cultures qui ont fait l’Occident » : le monde latin et le monde germanique. Cette
mission, il voudrait la faire comprendre au pays et à ses
dirigeants, à ceux du moins qui lui semblent en valoir la
peine. Car depuis qu’il est journaliste parlementaire à L’Indépendance belge , De Becker n’a pas de mots assez durs
pour stigmatiser la médiocrité des orateurs et les chutes
répétées des gouvernements. Seules quelques personnalités l’impressionnent : le jeune politicien Paul Henri
Spaak, et surtout Henri De Man, nouveau dirigeant du
parti ouvrier belge et auteur d’un ouvrage à succès, Au-delà du marxisme . Déçu par la démocratie traditionnelle
et farouchement neutraliste, ce « socialiste-national »
cherche aussi à trouver de nouveaux alliés du côté des
catholiques.
Raymond De Becker compte parmi les fidèles du salon
d’Édouard
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