Herge fils de Tintin
les concours, les interventions des
lecteurs ; revoici des pages entières remplies de contes
soporifiques, d’informations niaises et de conseils moralisants. Seul Tintin assure vaille que vaille la survie du
journal.
Lieutenant à Anvers, Hergé essaie de fournir ses
planches envers et contre tout. Mais, à partir du 1 er février,
il ne parvient plus à dessiner qu’une seule page par
semaine et se plaint d’un « service très dur ». Il bénéficie
tout de même de certaines protections. L’ancien ministre
Charles du Bus de Warnaffe est intervenu en sa faveur, ce
qui vaut à Hergé d’obtenir deux jours de congé par
semaine pour réaliser ses planches. Mais l’avenir est bien
incertain. Le Vingtième Siècle est en pleine crise et la direction doit envoyer un préavis de licenciement à l’ensemble
des collaborateurs, au cas où la situation continuerait à
s’aggraver.
Hergé lui-même se porte mal. Le Petit Vingtième du
8 février évoque une « impitoyable sinusite ». Le dessinateur semble aussi avoir été victime de plusieurs crises de
furonculose, un problème dont il est hélas coutumier. Le
17 avril, il peut regagner son foyer, « pour la troisième fois
mais toujours à titre provisoire 7 ». Et le lendemain, par
une lettre manuscrite et illustrée, il s’excuse auprès des lecteurs de cette nouvelle absence de Tintin :
Chers amis petits vingtiémistes,
En raison de circonstances exceptionnelles ( !), il ne m’a pas
été possible de vous donner cette semaine la suite des aventures de nos camarades Tintin et Milou. Je vous demande de
bien vouloir m’en excuser.
Et je vous promets que, sauf imprévu (tremblement de terre,
raz-de-marée, tornade ou bombardement), vous retrouverez
nos deux héros et les inséparables policiers dans notre
numéro de jeudi prochain.
Le 10 mai 1940, Hergé est déclaré définitivement
inapte au service par la direction de l’hôpital militaire de
Bruxelles ; il cesse du même coup de faire partie des cadresde réserve. Étonnante coïncidence : c’est ce matin-là que
Hitler lance ses troupes à l’assaut de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. L’Or noir s’interrompt en même
temps que prend fin Le Vingtième Siècle . Au milieu du
désert, Tintin est durement assommé par le docteur
Müller : « Je vais lui faire passer pour toujours l’envie de
s’occuper de moi ! », s’exclame le sinistre barbu.
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1 Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 3 septembre 1939.
2 Lettre de Pierre Ickx à Hergé, 15 septembre 1939.
3 Témoignage de Henry Bauchau à l’auteur, mars 2002.
4 Éditorial du premier numéro de L’Ouest , 7 décembre 1939.
5 Éditorial de L’Ouest , 21 décembre 1939.
6 Projet de lettre d’Hergé à M. Tong, 19 décembre 1939.
7 Lettre d’Hergé à Charles Lesne, 17 avril 1940.
Chapitre 4
T RÉSORS DE GUERRE
(1940-1944)
1
La carrière de chanteur de rues
Dans la journée du 10 mai, quelques heures après
l’invasion du territoire belge, la radio diffuse une sobre
déclaration du roi : « Pour la seconde fois en un quart de
siècle, la Belgique loyale et neutre est attaquée par
l’Empire allemand, au mépris des engagements les plus
solennels contractés à la face du monde. Le peuple belge
a tout fait pour l’éviter. Mais entre le sacrifice et le déshonneur, le Belge de 1940 n’hésite pas plus que celui de
1914. »
Pendant ce temps, les Allemands frappent vite et fort.
Par l’action combinée des chars et de l’aviation, ils progressent à toute allure. Deux jours après le début de l’invasion, Hergé apprend par un coup de téléphone de
William Ugeux que les forts d’Eben-Emael, qui défendent l’accès vers Bruxelles, viennent de tomber et que la
capitale ne va pas tarder à être occupée : puisque Hergé a
été définitivement démobilisé, le directeur du Vingtième
Siècle lui conseille de quitter la Belgique le plus vite possible.
Comme un million et demi d’autres Belges, Georges et
Germaine, ainsi que Jeannot, la femme de Paul Remi, etDenise, sa petite fille de trois ans, vont se lancer sur les
routes.
Rapidement, nous réunîmes ce que nous avions de plus précieux, sans oublier notre chatte siamoise, et nous partîmes en
auto en direction du littoral.
Dans l’après-midi, nous arrivâmes à Lophem, où nous rencontrâmes le père Neut et le père Lou. Et je me souviens
encore avec émotion de la
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