Herge fils de Tintin
et Lucienne Didier, un groupe informel, quiveut favoriser les contacts avec quelques figures présentables de la « nouvelle Allemagne ». Outre des politiciens
comme De Man et Spaak, on peut y croiser de jeunes
hommes de lettres comme Henry Bauchau, Robert Poulet
et Bertrand de Jouvenel ainsi que des diplomates comme
Otto Abetz et Max Liebe. Se présentant comme une
Européenne convaincue, Lucienne Didier est une belle
femme d’allure un peu extravagante ; elle porte toujours
de longs gants et ne se sépare guère de son lévrier blanc 3 .
On rapporte une scène digne des Aventures de Tintin . Par
deux fois, au cours d’une rencontre, une phrase d’Henri
De Man est sifflée, provoquant la fureur de l’intéressé,
jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que l’auteur du crime est un
perroquet nommé Jaco.
C’est pour défendre mieux encore ses idées qu’en
décembre 1939 De Becker fonde avec son ami Jean
de Villers un petit hebdomadaire appelé L’Ouest auquel
Hergé va participer de façon brève mais très significative.
Le titre n’a pas été choisi au hasard : « C’est cette profonde solidarité des pays de l’Ouest que nous voulons
mettre en valeur, solidarité que nie la présente guerre
civile occidentale, pour notre malheur à tous 4 . » Le sous-titre indique savoureusement qu’il s’agit d’un « hebdomadaire de combat en faveur de la neutralité ». Mais le mot
neutralité convient-il tout à fait ? Il est permis d’en
douter. Car il y a deux neutralismes à cette époque : et si
celui de Paul Henri Spaak demeure bienveillant à l’égard
des Alliés, celui de Raymond De Becker a déjà tendance à
pencher du côté de l’Allemagne.
Dans L’Ouest , Hergé publie en tout et pour tout quatre
gags, que De Becker qualifiera d’« heureuses caricaturescontre le bourrage de crâne ». Le héros, le bien nommé Monsieur Bellum , est un Belge francophile à la fois va-t-en-guerre et pusillanime. On le voit par exemple s’interrompre dans la lecture de Paris-Soir pour écouter la radio :
« … et dans le conflit actuel, la Belgique se doit de garder
la plus stricte neutralité… ». Le petit homme fulmine :
« Neutralité !… Neutralité !… Mais la neutralité des
consciences, ça, jamais !… » Il enfile son imperméable et,
après s’être assuré que personne ne l’observe, écrit sur un
mur : « Hitler est un fou ! »
Dans le deuxième gag, M. Bellum écoute à nouveau la
radio : « Des avions étrangers survolent la région
bruxelloise. » Il court se réfugier dans la cave, puis
remonte un instant pour s’écrier : « Sales boches ! » La
livraison suivante prend pour cible la presse écrite ; dans
le café où s’est rendu M. Bellum, un client lit Il Popolo
d’Italia , un autre un journal russe, un troisième le Berliner
Zeitung. « Qu’est-ce qu’on attend au gouvernement pour
interdire ces journaux étrangers ?… », peste M. Bellum,
avant de déplier son Paris-Soir . Le dernier gag tient en un
seul strip . La radio annonce les nouvelles : selon l’agence
allemande DNB, « au cours du mois de novembre,
167 avions ennemis ont été abattus ; un appareil allemand n’est pas rentré ». « Bourreurs de crânes », s’exclame
le petit homme, tandis qu’à la une de son éternel Paris-Soir , on peut lire : « Hitler a la scarlatine. »
Quelle que soit sa sympathie pour la cause de la neutralité, Hergé ne pousse pas sa collaboration à L’Ouest au-delà du quatrième numéro. À nouveau mobilisé, il a déjà
bien du mal à réaliser les planches de Tintin au pays de l’or
noir et les couvertures du Petit Vingtième . Inutile de
s’encombrer de ce personnage supplémentaire. De même,
le dessinateur n’est jamais cité parmi les hôtes du Salon
Didier : il n’était ni assez mondain ni assez intellectuelpour qu’on ait songé à l’y inviter. On ne retrouve pas
davantage sa signature au bas du manifeste de septembre 1939 « pour la neutralité belge, contre l’éternisation de la guerre et pour la défense des valeurs de l’esprit »
où les noms de ses proches sont pourtant nombreux.
Deux piliers de Capelle-aux-Champs, Jean Libert et
Marcel Dehaye signent le texte aux côtés de futures
grandes figures de la collaboration comme Robert Poulet,
Paul Colin et Paul Herten.
Dès cette époque, il est probable que la profession de
foi d’Hergé est strictement léopoldiste, comme celle
qu’affichent les
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