Herge fils de Tintin
responsables de L’Ouest . Car s’ils appellent
de leurs vœux un « changement de régime », seule chance
de rompre avec des « politiciens prisonniers des vieilles
idées, des vieux partis et d’un parlementarisme épuisé »,
ils sont persuadés que le signe attendu viendra en temps
utile du seul capitaine qu’ils reconnaissent. « Car c’est au
Roi qu’il faut obéir 5 . » Mais les réalités économiques sont
plus cruelles : les ventes de L’Ouest restèrent toujours
confidentielles, et sans le discret soutien financier de
l’ambassade d’Allemagne, le petit hebdomadaire n’aurait
jamais pu paraître.
La période est décidément pleine de surprises. Le
8 décembre 1939, le père Neut fait part à Hergé d’une
proposition déconcertante :
Mon bien cher Georges,
Je reçois de Chine le télégramme suivant : « Chungkink. –
Madame Tchang invite Hergé – Remboursera frais. (signé : )
Tong. » Mme Tchang est Mme Tchang Kaï-chek ; M. Tong
est le ministre du Publicity Board . […]
L’invitation que t’adresse Mme Tchang Kaï-chek est extrêmement flatteuse. Peut-être, avant d’y répondre, désireras-tu
quelques précisions quant aux circonstances dans lesquelles,
éventuellement, ton voyage aurait lieu. Dans ce cas, je suis à
ta disposition pour servir d’intermédiaire.
Quelques jours plus tard, le père Neut expose de vive
voix à Hergé le véritable contenu du message. Il ne s’agit
pas d’un simple remerciement pour Le Lotus bleu , ni
d’une invitation à un voyage touristique. Le désir du
ministre Tong est que Hergé dessine pour le gouvernement chinois, dans le cadre du secteur éducatif. Sans
doute l’aurait-on invité à créer en Chine un hebdomadaire pour la jeunesse. Le plus étonnant est que Hergé
semble avoir réellement envisagé de partir, si du moins on
prend au sérieux le projet de lettre « à son Excellence
Monsieur Tong, ministre de la Propagande », soumis par
Hergé au père Neut le 19 décembre. Après avoir remercié
chaleureusement, il explique les deux difficultés majeures
qui se présentent dans l’immédiat.
La première résulte de la situation internationale. Je viens
d’être informé par le ministère de la Défense nationale que je
serais rappelé sous les armes à la fin de ce mois. […]
La seconde difficulté provient de mes rapports avec le journal
quotidien Le Vingtième Siècle , de Bruxelles, auquel je suis
attaché par un contrat.
Ce contrat, au terme duquel je suis tenu de fournir chaque
semaine deux séries de dessins, prévoit un préavis d’un an
pour les deux parties.
Cet obstacle ne lui paraît pourtant pas insurmontable :
Si la durée de mon voyage – séjour compris – ne dépassait
pas quatre ou cinq mois, il me serait possible d’exécuter à
l’avance les dessins en question. Au besoin, ma femme pourraity mettre la dernière main pendant mon absence. Au contraire,
si ce séjour devait se prolonger, la chose serait impossible. Je
serais alors dans l’obligation d’interrompre ou de cesser ma
collaboration et, ipso facto , de rompre le contrat 6 .
Ces précisions en disent long, à la fois sur la puissance
de travail d’Hergé à cette époque – puisqu’il s’estime
capable de prendre jusqu’à cinq mois d’avance – et sur le
rôle de Germaine – à qui il envisage de confier les finitions
de ses planches. Et on ne peut s’empêcher de rêver un instant à la manière dont les choses auraient pu tourner : si
Hergé avait accepté l’invitation, il aurait probablement
été bloqué en Chine pendant toute la durée de la guerre.
La suite de son parcours en aurait été sérieusement
affectée…
Comme le dessinateur l’annonce dans son projet de
lettre, l’armée le rappelle le 28 décembre. Le même jour,
la couverture du Petit Vingtième se veut résolument
optimiste : d’une immense malle portant la mention
« 1940 », sort la colombe de la paix. Dans son éditorial,
l’oncle Jo espère que cette nouvelle année finira mieux que
1939 « dont le début fut plus brillant que la fin ». En
attendant, le contenu de l’hebdomadaire ne cesse de
s’appauvrir. Plus de Jo, Zette et Jocko dont la seconde
aventure, Le Stratonef H22 , s’est terminée le 9 novembre
1939. Pas davantage de Quick et Flupke. Insidieusement, Le Petit Vingtième se met à ressembler à la piteuse feuille
de chou qu’il était à l’origine : adieu les recherches de
mises en pages,
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