Herge fils de Tintin
scrupule, qui soutient l’expédition américaine, est dessiné selon les codes des caricatures
antisémites de l’époque. Mais il y a pire : deux cases
parues dans Le Soir , heureusement supprimées dès la première édition en album, contiennent une plaisanterie qui
ne peut que mettre mal à l’aise les admirateurs d’Hergé.
Tandis que le prophète Philippulus annonce la fin du
monde en tapant sur son gong, deux juifs se frottent les
mains :
— Tu as entendu, Isaac ? La fin du monde ! Si c’était vrai !
— Hé ! Hé ! Ce serait une bonne bedide avaire, Salomon !
Che tois 50.000 Frs à mes vournizeurs… Gomme za, che ne
tefrais bas bayer.
Hergé est décidément « très perméable aux influences »,
les meilleures souvent, mais quelquefois les pires…
Après la guerre, sa défense sur la question de l’antisémitisme fut indéniablement insuffisante. Presque toujours,
il se contenta de reprendre le même argument. Que ce
soit dans une lettre à une lectrice :
Ouvrage déjà ancien, L’Étoile mystérieuse est antérieur aux
camps d’extermination nazis. S’il avait été créé depuis, je me
serais gardé d’y introduire un Blumenstein, pour éviter tout
emprunt, même innocent, à ce racisme dont je pense comme
vous qu’il est abominable.
Mais je voudrais vous convaincre que, même à l’époque où ce
personnage a fait son apparition, celle-ci n’avait pas la moindre
signification antisémite. On trouve dans mes albums nombre
d’individus antipathiques : colons anglais rossant les Chinois,
marchands de mort subite allemands, Japonais fourbes,
affreux sorciers africains, gangsters de Chicago, policiers
véreux de nationalités diverses. La caricature que j’ai faite de
tous ces types de « mauvais » n’a jamais voulu dire que j’étais,
en bloc, contre les Jaunes, les Noirs ou les Blancs 16 …
Ou dans ses entretiens avec Numa Sadoul :
J’ai effectivement représenté un financier antipathique sous
des apparences sémites, avec un nom juif : le Blumenstein de L’Étoile mystérieuse . Mais cela signifie-t-il antisémitisme ?…
Il me semble que dans ma panoplie d’affreux bonshommes,
il y a de tout : j’ai montré pas mal de « mauvais » de diversesorigines, sans faire un sort particulier à telle ou telle race.
[…] On a toujours raconté des histoires juives, des histoires
marseillaises, des histoires écossaises. Mais qui aurait pu prévoir que les histoires juives, elles, allaient se terminer, de la
façon que l’on sait, dans les camps de la mort de Treblinka et
d’Auschwitz 17 ?
Dans certaines conversations, il accepta pourtant
d’aller un peu plus loin. Par exemple avec le cinéaste
Henri Roanne-Rosenblatt, qui avait souffert enfant des
persécutions nazies :
Pour ce qui est des camps d’extermination, c’est en 1945 que
Pierre Ugeux m’en a parlé. Il avait fait partie des troupes qui
avaient découvert certains de ces camps. Lui-même m’a
assuré qu’il n’était pas au courant auparavant. Il est évident
que si on avait su que ces horreurs-là existaient réellement, il
n’aurait pas été possible de l’accepter, même de façon indirecte, en continuant à travailler pour des journaux contrôlés
par les Allemands 18 .
Si Hergé ignorait la « solution finale » lorsqu’il dessinait L’Étoile mystérieuse , il ne pouvait, en revanche, pas
manquer de connaître les mesures antisémites promulguées à cette époque. Le Soir ne se contentait pas d’en
informer ses lecteurs ; il appuyait ces persécutions et travaillait à les légitimer. On ressortait des placards de vieux
textes du Belge Edmond Picard et du Français Gobineau.
Et le journaliste Léon Van Huffel tentait longuement de
« poser les bases d’un nouvel antisémitisme » :
Il est clair en effet que nous ne pouvons plus nous contenter,
comme autrefois, d’exclure le juif de certains leviers de commande de la vie publique. Nous devons le considérer commeun étranger d’une race opposée à la nôtre et ne point
mélanger notre sang avec le sien. […] L’époque de l’antisémitisme social est révolue ; aujourd’hui, s’ouvre dans toute
l’Europe l’ère de l’antisémitisme racial. Au stade « empirique » d’un antisémitisme instinctif, spontané et brutal, il
nous faut définitivement substituer un antisémitisme
réfléchi, systématique et pacifique 19 .
Le 27 mai 1942, une semaine après la fin de la publication de L’Étoile
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